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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/98

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Le maître.

Pour plus commode, cela est sûr.

Jacques.

Dès le matin, le chirurgien tira mes rideaux et me dit : « Allons, l’ami, votre genou ; car il faut que j’aille au loin.

— Docteur, lui dis-je d’un ton douloureux, j’ai sommeil.

— Tant mieux ! c’est bon signe.

— Laissez-moi dormir, je ne me soucie pas d’être pansé.

— Il n’y a pas grand inconvénient à cela, dormez… »

Cela dit, il referme mes rideaux ; et je ne dors pas. Une heure après, la doctoresse tira mes rideaux et me dit : « Allons, l’ami, prenez votre rôtie au sucre.

— Madame la doctoresse, lui répondis-je d’un ton douloureux, je ne me sens pas d’appétit.

— Mangez, mangez, vous n’en paierez ni plus ni moins.

— Je ne veux pas manger.

— Tant mieux ! ce sera pour mes enfants et pour moi. »

Et cela dit, elle referme mes rideaux, appelle ses enfants, et les voilà qui se mettent à dépêcher ma rôtie au sucre.


Lecteur, si je faisais ici une pause, et que je reprisse l’histoire de l’homme à une seule chemise, parce qu’il n’avait qu’un corps à la fois, je voudrais bien savoir ce que vous en penseriez ? Que je me suis fourré dans une impasse à la Voltaire[1], ou

  1. « Comment a-t-on pu donner, dit Voltaire dans son Dictionnaire philosophique, le nom de cul-de-sac à l’angiportus des Romains ? Les Italiens ont pris le nom d’angiporto pour signaler strada senza uscita. On lui donnait autrefois chez nous le nom d’impasse, qui est expressif et sonore. C’est une grossièreté énorme que le mot de cul-de-sac ait prévalu. »

    On lit encore dans une lettre de Voltaire aux Parisiens (cette lettre, qui précède l’Avertissement de la comédie de l’Écossaise, est écrite contre l’auteur de l’Année littéraire) : « J’appelle impasse, messieurs, ce que vous appelez cul-de-sac. Je trouve qu’une rue ne ressemble ni à un cul ni à un sac. Je vous prie de vous servir du mot impasse, qui est noble, sonore, intelligible, nécessaire, au lieu de celui de cul, en dépit du sieur Fréron, ci-devant jésuite. »

    Le Breton, imprimeur de l’Almanach royal, s’étant servi du mot cul-de-sac en donnant l’adresse de quelques personnages, Voltaire s’écrie encore dans le Prologue de la guerre civile de Genève : « Comment peut-on dire qu’un grave président demeure dans un cul ? Passe encore pour Fréron : on peut habiter le lieu de sa naissance : mais un président, un conseiller ! Fi ! monsieur Le Breton ; corrigez-vous, servez-vous du mot impasse, qui est le mot propre ; l’expression ancienne est impasse. » (Br.)