Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/268

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fois usé de représailles avec monsieur le Commandeur ; qu’irritée par son humeur chagrine, elle sera sortie de son caractère, et qu’il lui sera échappé un mot peu mesuré.

Je me rendrai odieux à mon fils ; j’éteindrai dans son âme les sentiments qu’il me doit ; j’achèverai d’enflammer son caractère impétueux, et de le porter à quelque éclat qui le déshonore dans le monde tout en y entrant ; et cela, parce qu’il a rencontré une infortunée qui a des charmes et de la vertu ; et que, par un mouvement de jeunesse, qui marque au fond la bonté de son naturel, il a pris un attachement qui m’afflige.

N’avez-vous pas honte de vos conseils ? Vous qui devriez être le protecteur de mes enfants auprès de moi, c’est vous qui les accusez : vous leur cherchez des torts ; vous exagérez ceux qu’ils ont ; et vous seriez fâché de ne leur en pas trouver !

Le Commandeur.

C’est un chagrin que j’ai rarement.

Le Père de famille.

Et ces femmes, contre lesquelles vous obtenez une lettre de cachet ?

Le Commandeur.

Il ne vous restait plus que d’en prendre aussi la défense. Allez, allez.

Le Père de famille.

J’ai tort ; il y a des choses qu’il ne faut pas vouloir vous faire sentir, mon frère. Mais cette affaire me touchait d’assez près, ce me semble, pour que vous daignassiez m’en dire un mot.

Le Commandeur.

C’est moi qui ai tort, et vous avez toujours raison.

Le Père de famille.

Non, monsieur le Commandeur, vous ne ferez de moi ni un père injuste et cruel, ni un homme ingrat et malfaisant. Je ne commettrai point une violence, parce qu’elle est de mon intérêt ; je ne renoncerai point à mes espérances, parce qu’il est survenu des obstacles qui les éloignent ; et je ne ferai point un désert de ma maison, parce qu’il s’y passe des choses qui me déplaisent comme à vous.