Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/425

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Mme Beverley et dont il n’est question que dans un monologue. Cette passion est une pauvreté de plus dans la pièce de M. Saurin. »

Quand la pièce de Saurin fut imprimée, Grimm y revint encore. Il se fâcha surtout du titre « ridicule » de tragédie bourgeoise qu’on avait donné à l’ouvrage. « monsieur Saurin se demande, dit-il, si le Philosophe sans le savoir est une tragédie ou une comédie, et il n’ose décider cette question. Eh bien ! monsieur Saurin, je la déciderai : non-seulement c’est une comédie, mais c’est là la vraie comédie et son véritable modèle. Quoi ! parce qu’il s’est trouvé en France, il y a cent ans, un homme d’un génie rare, d’une verve irrésistible, qui n’a fait proprement que des pièces satiriques, d’une satire déliée et souvent sublime, et parce que c’est avec une extrême délicatesse que la satire demande à être maniée sous une monarchie, où l’orgueil de la naissance, du rang, des titres, des charges, des places, rend chaque particulier excessivement susceptible sur tout ce qui tient à cette existence extérieure et factice ; quoi, parce que cet homme unique, se soumettant aux entraves que la sotte religion et les petites mœurs mesquines et gothiques de son pays et de son siècle ont mises de toutes parts au genre dramatique, pour l’empêcher d’atteindre le but véritable et glorieux pour lequel il a été institué ; parce que, dis-je, cet homme, malgré ces entraves, a su se franchir une route vers l’immortalité, tout ce qui ne sera pas dans le genre du Tartuffe et du Misanthrope ne sera pas réputé comédie ?… On ferait un beau traité de poétique sur cet objet, encore peu aperçu par nos philosophes ; et si l’on était curieux de se faire lapider par la canaille des beaux esprits, on leur prouverait que, sans rien diminuer de l’admiration pour le génie de Molière, la véritable comédie n’est pas encore créée en France. »

Nous rapportons cet extrait, parce qu’il touche autant Diderot, dont les deux pièces avaient paru d’abord sous le titre de comédies, que Saurin qui paraît seul en cause. Mais comédie fut repoussé par les classiques, tragédie bourgeoise par les novateurs, et ce qui resta ce fut le mot drame.

Garrick, à Londres, avait fait vivre la pièce de Moore ; Molé, à Paris, fit le succès de Beverley. Il y était, paraît-il, admirable.

D’Alembert s’est essayé aussi sur ce sujet. Il a traduit le monologue du Joueur dans sa prison, mais en l’adoucissant pour le rendre plus acceptable, dit-il, au goût français.