Cependant son intention avait été ébruitée, et en 1762, quand l’abbé Bruté de Loirelle publia le Joueur (Dessain junior, in-12), il dit dans sa préface : « En donnant cette traduction au public, j’aurais tâché de l’accompagner de quelques réflexions sur la tragédie bourgeoise si je n’eusse craint de répéter ce que d’autres ont dit avant moi. Je sais d’ailleurs qu’un homme fort connu dans la république des lettres doit faire imprimer une dissertation qu’il a faite sur ce nouveau genre de tragédie. » La traduction de l’abbé est exacte ; il n’a oublié ni le prologue « fait et prononcé par M. Garrick, » ni l’épilogue « fait par un ami de l’auteur et prononcé par Mlle Pritchard. » Il a placé à la fin de chaque acte les quelques vers qui les terminent en guise de moralité et a suivi partout le texte de très-près. M. Paul Lacroix n’avait qu’à comparer cette version avec celle de Diderot publiée pour la première et unique fois (nous ne savons pourquoi M. Brière l’a écartée) dans l’édition Belin des Œuvres de Diderot pour éviter l’erreur qui lui fait attribuer le volume de 1762 à notre auteur (Catalogue de la bibliothèque dramatique de M. de Soleinne, no 2325).
Diderot a-t-il été aussi fidèle que l’abbé Bruté de Loirelle ? Non. Grimm n’hésite pas à dire (15 mai 1768) : « Il y a environ dix ans que cette pièce tomba entre les mains de M. Diderot. Frappé de quelques traits, il se mit à en croquer une traduction pour la faire connaître à quelques femmes avec lesquelles il se trouvait à la campagne. On imprima presque en même temps une autre traduction, peut-être plus fidèle, parce que M. Diderot ne se fait jamais faute d’ajouter ce qui peut se présenter de beau sous sa plume… Alors M. Saurin s’empara du manuscrit de M. Diderot, et, après s’être assuré que celui-ci ne comptait en faire aucun usage, il entreprit d’enrichir la scène française de cette pièce. »
Le Beverley de Saurin ne serait-il donc autre chose que le manuscrit de Diderot ? Il n’en est rien. Saurin a voulu augmenter le pathétique de l’auteur anglais et il a ajouté de son cru des épisodes, entre autres celui dans lequel le Joueur lève le couteau sur son enfant endormi. Il a supprimé des personnages, il en a ajouté et conservé l’intrigue tout en modifiant les caractères.
« M. Diderot, dit encore Grimm, avait pourtant trouvé un moyen de rendre le rôle de Stukely non-seulement supportable, mais théâtral. Il avait conseillé à M. Saurin d’en faire un homme généreux, plein de noblesse dans ses procédés, dissipateur d’une grande fortune dont il aurait vu la fin, et de lui donner, du reste, une passion insurmontable pour Mme Beverley. » Suit tout un plan dont cet amour est la base et cette conclusion de Grimm : « Tout l’usage que M. Saurin a osé faire de ce conseil se réduit à un peu de passion qu’il a donnée à Stukely pour