Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/436

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nuit !… Mais l’amour ne va point sans le soupçon… Cependant avec les charmes qu’on vous voit et le mérite qu’on vous accorde unanimement…

MADAME BEVERLEY.

Monsieur, que voulez-vous dire ? Si j’avais une pensée qui fût injurieuse à mon mari, ce serait la première.

STUKELY.

Il est certain qu’une crainte pareille serait également indigne de vous et de lui… Mais le monde est bien méchant. Il est plein d’âmes corrompues qui cherchent à secouer sur les autres une partie de leur honte. On se plaît à généraliser ses vices. On les excuse par ce moyen, et l’on disparaît dans la multitude des coupables… Mais vous êtes la prudence même… Vous vous êtes proposé d’être heureuse, et tout mauvais propos trouvera vos oreilles fermées… Ce serait un très-grand malheur que d’y ajouter la moindre foi.

MADAME BEVERLEY.

Un très-grand malheur ? dites le plus grand de tous. Croire contre sa conscience, sa conviction, son expérience… cela ne se peut… Mais à quoi bon tous ces propos ?

STUKELY.

À vous prévenir peut-être contre de faux bruits. La moitié des hommes se plaît à médire de l’autre. Et puis il est incroyable comme on appuie sur des misères… En tout cas, si quelque conte impertinent arrivait jusqu’à vous, vous savez, je crois, à présent, le cas que vous en devez faire.

MADAME BEVERLEY.

Si quelque conte impertinent… Mais quel conte ? de qui ? sur quoi ?… qui est-ce qui osera ?… Monsieur, je ne sais rien, je ne veux rien savoir. Je n’ai rien entendu, je ne veux rien entendre… On me dirait… oui, on me dirait… qu’avec tous les torts que je lui sais, on ne réussirait point à me rendre ses mœurs suspectes… Non, non, mon époux est mon premier ami, mon plus proche appui, mon repos, ma joie, ma sûreté au milieu clés orages qui peuvent s’élever autour de moi… (stukely soupire et baisse la vue.) Vous soupirez… Pourquoi soupirez-vous ?…

STUKELY.

Madame, je vous écoutais… S’il m’est échappé un soupir,