Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/452

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Allons, soyons gais ! Si elle nous fronce aujourd’hui le sourcil, elle nous sourira demain. Et qu’est-ce qui la rend si charmante, si ce n’est ses inégalités ?

BEVERLEY.

Ah ! mon ami, ce propos léger est-il du moment ? Mais après tout, personne ne partage ton malheureux sort. Si tu es au fond du gouffre, tu y es seul, et tu peux y plaisanter s’il te convient. Il n’en est pas ainsi de moi ; mon état est une complication d’infortunes.

STUKELY.

Que votre reproche est injuste ! Eh ! ne sentez-vous pas que je n’affecte quelque gaieté que pour distraire un ami de son affliction ? Si quelqu’un a besoin de soutien, c’est moi.

BEVERLEY.

Qu’est-il arrivé de nouveau ?

STUKELY.

Je vous avais promis de l’argent ; je comptais en avoir ; mais on exige des sûretés, et il ne me reste pas une épingle que je puisse engager. Je n’ai plus rien.

BEVERLEY.

Et voilà ce qui aggrave mon malheur. J’ai perdu mon ami ; je périssais, il m’a tendu la main, et je l’ai entraîné !

STUKELY.

Mon ami, tâchons d’écarter ces idées et d’en avoir de moins tristes.

BEVERLEY.

Et d’où voulez-vous qu’elles me viennent ? Je n’ai plus rien, vous dis-je.

STUKELY.

C’est donc fait de nous ! Mais y avons-nous bien vu ? ne nous reste-t-il plus rien ? quoi ! rien ? pas un effet ? pas une bagatelle ? pas un de ces précieux colifichets qu’on tient renfermés dans un écrin, et sur lesquels leurs imbéciles propriétaires se laisseraient mourir de faim ?… Mon ami, j’ai pris de terribles engagements pour vous.

BEVERLEY.

Et c’est là ce qui me désespère ; je ne puis rien ; je suis perdu, et je le suis sans ressource.