Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/455

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à vous suivre et à recevoir cette récompense de mes services et de mon amitié.

BEVERLEY.

Ah ! périsse plutôt et Beverley et le monde entier. Mon ami, conduit par moi dans une prison ! ah ! je ne suis pas encore descendu jusqu’à ce degré d’avilissement. Ce cœur gémit, accablé sous le poids de la douleur, il est déchiré par le remords ; mais je ne le changerais pas pour un autre qui pourrait s’endurcir sur le sort de son ami, oublier sa peine et se remplir de joie.

STUKELY.

Vous mettez à cela trop de chaleur.

BEVERLEY.

En montrer moins en pareil cas, ce serait être de glace. Adieu. J’irai vous prendre chez vous.

STUKELY.

Mon ami, un moment ! Avant que d’aller plus loin, arrêtons-nous et réfléchissons. Si nous risquons les bijoux, nous pouvons les perdre ; j’ai peut-être été un peu trop pressant.

BEVERLEY.

Non, mon ami, non ; mais peu s’en est fallu que je n’aie été un ingrat ; tout est vu, tout est dit. La réflexion nous prendrait du temps, et nous n’en avons point à perdre ; dans une heure au plus tard, je suis à vous. (Il sort.)

STUKELY.

L’insensé ! le stupide !… Voilà donc une partie liée pour ce soir ; mais, doucement, nous ne tenons encore rien : la femme peut refuser, le mari se désister ; cela n’est pas sans vraisemblance… Mais si nous écrivions à Beverley un billet qui le hâtât et qui l’encourageât… Fort bien… Est-il possible que l’avarice me dégrade jusque-là !… L’avarice ! non ; je cède à des motifs plus relevés ; l’amour ! l’amour et le ressentiment !… Ruiner le mari et acheter de sa dépouille l’honneur de sa femme, voilà qui est digne d’un Stukely. Mais l’honneur d’une femme a son prix, qui varie : l’état, l’opulence, l’âge, le tempérament et mille autres circonstances le haussent ou le baissent. L’indigence s’en défait pour rien ; l’opulence le surfait ; la fille aux pâles couleurs l’abandonne pour un mensonge et quelques faux