différer davantage ? Si je puis supporter le malheur de ceux qui me sont le plus chers, une sœur et son enfant, je peux bien aussi supporter le mien.
Brisons là-dessus ; vous blessez mon cœur.
Encore si tout le mal était ramassé sur la tête du coupable ; mais il faudra que l’innocent pâtisse… Stupide libertin ! il ne tenait qu’à lui de trouver le ciel et ses joies pures dans sa maison ; un petit chérubin, sa mère, deux êtres célestes… ils auraient couronné ses jours de bonheur. Qu’a-t-il fait ? Il s’en est allé ! Où ? Chercher le séjour des damnés ; quitter une demeure divine pour se mettre en société avec des esprits infernaux.
Charlotte, c’est trop ; cessez des reproches qui viennent trop tard ; ils pénètrent et ne guérissent pas. Quant à la restitution de votre fortune et à la demande que vous m’en faites, demain nous y reviendrons ; demain, nous serons tous les deux plus rassis.
Si vous l’avez perdue, adieu notre unique ressource ; je ne la regretterai que pour ma sœur ; elle porte mon cœur au dedans d’elle-même ; elle ne reçoit pas un coup qui ne me perce. Mais ne craignez plus de m’entendre ; ma voix ne vous affligera pas davantage ; le ciel a sans doute ses vues dans tout ce qu’il permet, et c’est peut-être un crime que de se plaindre. Cependant, qu’un mari, qu’un père, qu’un frère soit l’instrument dont il nous châtie dans sa colère, cela est dur à penser.
Si vous êtes encore ma sœur, de grâce épargnez-moi ; il est un ressouvenir dont la blessure est trop profonde. Demain tout s’éclaircira. Qui sait si le pis aller n’est pas moins fâcheux que vos propres terreurs ? Consolez ma femme ; dites-lui que si mon absence l’a fait souffrir, je réparerai ce chagrin. Tout bonheur n’a pas encore cessé pour nous.
La voilà qui vient… Tâchez de prendre un air serein ; songez qu’un intérêt aussi vif que le sien rend très-clairvoyante, qu’il donne des yeux qui voient jusque dans le fond d’une âme.