Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/484

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STUKELY.

Non, je n’entrerai pour rien dans cette affaire. Je ne vous la conseille pas. Vous êtes prudent ; voyez vous-même ; agissez comme il vous conviendra. Je rentre chez moi, et vous m’y trouverez.

BEVERLEY.

Il en arrivera tout ce qu’il pourra. Cette nuit, je deviens le dernier des misérables ; j’arrive au comble de la malédiction. Je suis au-dessus de toute crainte. (Il sort.)

STUKELY.

Tant mieux. Le plus grand des maux, c’est la crainte. C’est un devoir d’ami que de nous en délivrer… Que je suis heureux ! mais je puis l’être encore davantage… Au milieu de ses pertes, il reste à cet homme un trésor, une femme tendre, honnête et belle. Voilà ce qu’il faudrait lui enlever. Mais les sages comme moi voient de l’embarras à tout ; ils se font des fantômes. Pour réussir auprès des femmes, il n’est rien tel que d’être fou. Un fou n’examine rien, ne doute de rien, va, presse, persiste, importune, insiste, et réussit… Ne pourrions-nous suppléer par un peu d’artifice à l’impertinence qui nous manque ? Charlotte n’y est pas toujours. Choisissons ce moment. Le germe de la jalousie est jeté. Ou je me trompe fort, ou il a pris racine. Hâtons son accroissement et sa maturité, et voyons quelle en sera la récolte. Si elle est ou se croit trahie, la plus douce devient une lionne irritée. Allons chez Beverley. Qu’importe le danger ? lorsque la beauté nous appelle, réfléchir est une sottise, balancer est une lâcheté.


Scène VI.

La scène change ; le théâtre représente l’appartement de M. Beverley.
MADAME BEVERLEY, LUCY.
MADAME BEVERLEY.

Charlotte ne vous a-t-elle rien dit ?

LUCY.

Non, madame.