Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/489

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de mes forces. J’ai vu sa dissipation sans m’en plaindre ; j’ai vu la misère s’avancer sur moi de tous cotés sans pousser un soupir ; j’ai vu ma fortune renversée, sans répandre une larme… Ces épreuves étaient cruelles ; mais ma passion, ma tendresse me soutenaient… Ah ! Dieu, Dieu !

STUKELY.

Voici le moment de montrer du courage et de la patience.

MADAME BEVERLEY.

Du courage ? de la patience ? Le cruel ! l’ingrat ! le perfide ! Est-ce la connaissance qu’il a de ce cœur qui l’autorise à le déchirer ? Mais il verra que je puis cesser d’être faible, ressentir des injures et m’en l’aire justice.

STUKELY, à part.

Parlons, il en est temps. (À madame Beverley.) Vous en faire justice, rien ne vous sera plus facile.

MADAME BEVERLEY.

Comment, monsieur ?

STUKELY.

Pardonnez, madame, à mon zèle. C’est son excès qui va m’exposer peut-être à vous déplaire. Suspendez un moment votre juste courroux, et arrêtez vos yeux sur la misère de votre état. Le besoin vous attaque de toutes parts : lui résisterez-vous ? Votre enfant sans éducation, sans secours, va perdre les privilèges les plus avantageux de sa naissance ; votre sœur est ruinée. Des larmes sont l’unique consolation qui lui reste à donner à votre sort et au sien. Vous êtes sans ressource. À qui vous adresserez-vous ? à la commisération de quelques gens de bien ? Hélas ! madame, ce qu’on en obtient est bien peu de chose, et n’est que trop souvent compensé par l’insulte dure et cruelle des autres.

MADAME BEVERLEY.

Voilà donc où j’en suis réduite ! Et le moyen de m’en faire justice ?

STUKELY.

Il est sûr, si vous l’agréez. Lorsque le serment du mariage est violé, aux yeux du ciel le sacrement est dissous… Un moment, madame… écoutez-moi, et ne vous révoltez point trop