Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/524

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perdez le sentiment et la voix ; ou si vous les recouvrez après que vous m’aurez entendu, jetez-vous à genoux, criez vers le ciel, et maudissez-moi.

MADAME BEVERLEY.

Qu’est-ce ? pourquoi crier vers le ciel ? pourquoi vous maudire ? Non, mon ami ; celle qui fut faite pour bénir tous les jours de votre vie ne vous maudira jamais.

BEVERLEY.

Tous mes jours ont été maudits. Le monde n’a pas l’exemple d’un autre misérable comme moi. Écoutez : toute cette succession, toute cette fortune que la bonté du ciel m’a départie, qu’il me réservait pour ce moment, qui aurait fini mes peines et les vôtres, réparé mon désastre et ramené pour moi le bonheur et la paix, je l’ai engagée, vendue et perdue la nuit dernière.

CHARLOTTE.

Engagée, vendue et perdue ! Comment ?

MADAME BEVERLEY.

Cela ne se peut.

BEVERLEY.

Un Stukely, un homme infernal, m’a parlé de dettes, d’honneur, de ressources, que sais-je encore ? il m’a séduit ; et j’ai vendu, joué et perdu l’héritage que je ne possédais pas encore… vendu pour rien, joué et perdu avec des fripons.

CHARLOTTE.

Enfin, il ne nous reste plus rien.

BEVERLEY.

Il vous reste la liberté et la vie… Mettez-vous donc à genoux ; et appelez sur moi la malédiction d’en haut.

MADAME BEVERLEY, elle se met à genoux, et elle dit :

Ciel, entends-moi ; regarde en pitié cet homme ; touche son cœur, et dissipe la nuit du chagrin qui le couvre ; rends la douceur à ses regards, et le calme à son esprit ; ôte-lui la mémoire importune de ses erreurs ; que le désespoir s’éloigne de lui. S’il faut que tu frappes, que ce soit moi ; frappe-moi. S’il faut que ta main s’appesantisse, que ce soit sur moi, sur moi. S’il faut que la misère soit son lot et le mien, écarte-la de lui, et double-la pour moi ; réponds-moi de son bonheur, et je te