Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/64

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et suivit sans parler ceux qui l'environnaient. Cependant on me jette à moitié nu , dans le lieu le plus profond d'un bâtiment, pêle-mêle , avec une foule de malheureux, abandonnés impitoyablement dans la fange, aux extrémités terribles de la faim , de la fois et des maladies. Et pour vous peindre en un mot toute l'horreur du lieu, je vous dirai qu'en un instant j'y entendis tous les accents de la douleur , toutes les voix du désespoir; et que, de quelque côté que je regardasse, je voyais mourir.

Clairville : Voilà donc ces peuples dont on vante la sagesse qu'on nous propose sans cesse pour modèles. C'est ainsi qu'ils traitent les hommes

Dorval : Combien l'esprit de cette Nation généreuse a changé !

André : Il y avait trois jours que j'étais confondu dans cet amas de morts et de mourants, tous français tous victimes de la trahison lorsque j'en fus tiré. On me couvrit de lambeaux déchirés, et l'on me conduisit, avec quelques uns de mes malheureux compagnons, dans, la ville à travers des rues pleines d'une populace effrénée qui nous accablait d'imprécations et d'injures, tandis qu'un monde tout à-fait différent que le tumulte avait attiré aux fenêtres faisait pleuvoir sur nous l'argent et les secours.

Dorval : Quel mélange incroyable d'humanité , de bienfaisance et de barbarie ! 7

André : Je ne savais si l'on nous conduisait à la liberté ou si l'on nous traînait au supplice.

Clairville : Et votre maître André ?

André : J'allais à lui ; c'était le premier des offices d'un ancien Correspondant qu'il avait informé de notre malheur. J'arrivai à une des prisons de la ville. On ouvrit les portes d'un cachot obscur où je descendis. Il y avait déjà quelque temps que j'étais