Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VIII.djvu/386

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dèles ont, proportion gardée, ou l’égalité, ou la subordination qui convient aux circonstances où le poète les a placés, sans quoi l’un sera trop fort ou trop faible ; et pour sauver cette dissonance, le fort élèvera rarement le faible à sa hauteur ; mais, de réflexion, il descendra à sa petitesse. Et savez-vous l’objet de ces répétitions si multipliées ? C’est d’établir une balance entre les talents divers des acteurs, de manière qu’il en résulte une action générale qui soit une ; et lorsque l’orgueil de l’un d’entre eux se refuse à cette balance, c’est toujours aux dépens de la perfection du tout, au détriment de votre plaisir ; car il est rare que l’excellence d’un seul vous dédommage de la médiocrité des autres qu’elle fait ressortir. J’ai vu quelquefois la personnalité d’un grand acteur punie ; c’est lorsque le public prononçait sottement qu’il était outré, au lieu de sentir que son partenaire était faible.

À présent vous êtes poète : vous avez une pièce à faire jouer, et je vous laisse le choix ou d’acteurs à profond jugement et à tête froide, ou d’acteurs sensibles. Mais avant de vous décider, permettez que je vous fasse une question. À quel âge est-on grand comédien ? Est-ce à l’âge où l’on est plein de feu, où le sang bouillonne dans les veines, où le choc le plus léger porte le trouble au fond des entrailles, où l’esprit s’enflamme à la moindre étincelle ? Il me semble que non. Celui que la nature a signé comédien, n’excelle dans son art que quand la longue expérience est acquise, lorsque la fougue des passions est tombée, lorsque la tête est calme, et que l’âme se possède. Le vin de la meilleure qualité est âpre et bourru lorsqu’il fermente ; c’est par un long séjour dans la tonne qu’il devient généreux. Cicéron, Sénèque et Plutarque me représentent les trois âges de l’homme qui compose : Cicéron n’est souvent qu’un feu de paille qui réjouit mes yeux ; Sénèque un feu de sarment qui les blesse ; au lieu que si je remue les cendres du vieux Plutarque, j’y découvre les gros charbons d’un brasier qui m’échauffent doucement.

Baron jouait, à soixante ans passés, le comte d’Essex, Xipharès, Britannicus, et les jouait bien. La Gaussin enchantait, dans l’Oracle et la Pupille, à cinquante ans.

LE SECOND

Elle n’avait guère le visage de son rôle.