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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/198

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gagne proportionnellement ; mais alors ce n’est plus la scène réelle et vraie qu’on voit, ce n’en est pour ainsi dire que la traduction. De là, cent à parier contre un qu’un tableau dont on prescrira rigoureusement l’ordonnance à l’artiste sera mauvais, parce que c’est lui demander tacitement de se former tout à coup une palette nouvelle. Il en est en ce point de la peinture comme de l’art dramatique. Le poëte dispose son sujet relativement aux scènes dont il se sent le talent, dont il croit se tirer avec avantage. Jamais Racine n’eût bien rempli le canevas des Horaces ; jamais Corneille n’eût bien rempli le canevas de Phèdre.

Je me sens encore las ; suivons donc encore un moment cette digression. Je ne vous parlerai point de l’éclat du soleil et de la lune, qu’il est impossible de rendre, ni de ce fluide interposé entre nos yeux et ces astres qui empêche leurs limites de trancher durement sur l’espace ou le fond où nous les rapportons, fluide qu’il n’est pas plus possible de rendre que l’éclat de ces corps lumineux ; mais je vous demanderai si leur contour sphérique et rigoureux n’est pas déplaisant ? si, quelque brillants que l’artiste les fît, ils ne ressembleraient pas à des taches ? Il est impossible qu’un arbre, tel qu’un cerisier chargé de fruits rouges, fasse un bon effet dans un tableau ; et un espace du plus beau bleu percé de petits trous lumineux sera tout aussi maussade. Je vais peut-être prononcer un blasphème, mais qu’importe ! est-ce que j’ai honte d’être bête avec mon ami ? C’est qu’à mon avis ce n’est ni par sa couleur, ni par les astres dont il étincelle pendant la nuit que le firmament nous transporte d’admiration. Si, placé au fond d’un puits, vous n’en voyiez qu’une petite portion circulaire, vous ne tarderiez pas à vous réconcilier avec mon idée. Si une femme allait chez un marchand de soie, et qu’il lui offrît une aune ou deux de firmament, je veux dire d’une étoile du plus beau bleu et parsemée de points brillants, je doute fort qu’elle la choisît pour s’en vêtir. D’où naît donc le transport que le firmament nous inspire pendant une nuit étoilée et sereine ? C’est, ou je me trompe fort, de l’espace immense qui nous environne, du silence profond qui règne dans cet espace, et d’autres idées accessoires dont les unes tiennent à l’astronomie et les autres à la religion. Quand je dis à l’astronomie, j’entends cette astronomie populaire qui se borne à savoir que ces points étincelants sont des