Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/199

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masses prodigieuses reléguées à des distances prodigieuses, où ils sont les centres d’une infinité de mondes suspendus sur nos têtes et d’où le globe que nous habitons serait à peine discerné. Quel ne doit pas être notre frémissement lorsque nous imaginons un Être créateur de toute cette énorme machine, la remplissant, nous voyant, nous entendant, nous environnant, nous touchant ! Voilà, ou je me trompe fort, les sources principales de notre sensation à l’aspect du firmament, c’est un effet moitié physique et moitié religieux.

Mais il est temps de revenir à Deshays. Il y a une Résurrection du Lazare[1], sans numéro et sans nom d’artiste, qu’on lui attribue et qui est certainement de lui.

On voit à droite le tombeau. Le ressuscité en sort debout, la tête découverte. Il tend vers le Dieu qui lui a rendu la vie ses bras encore embarrassés de son linceul. Son visage est l’image de la mort que les traits de la joie et de la reconnaissance viennent d’animer. Ses parents, penchés vers lui, lui tendent les bras d’un endroit élevé où ils sont placés ; ils sont transportés d’étonnement et de joie. L’artiste a prosterné les deux sœurs aux pieds du Christ : l’une adore, le visage contre terre ; l’autre a vu le prodige. L’expression, la draperie, le caractère de tête et toute la manière de celle-là est du Poussin ; celle-ci est aussi fort belle. Les apôtres s’entretiennent à quelque distance derrière le Christ. Ils ne sont pas aussi fortement affectés que le reste des assistants : ils sont faits à ces tours-là. Le Christ est debout, au-dessus des femmes, à peu près également éloigné des apôtres et du tombeau. Il a l’air d’un sorcier en mauvaise humeur, je ne sais pourquoi, car son affaire lui a réussi. Voilà le principal défaut de ce tableau, auquel on peut encore reprocher une couleur un peu crue et, comme dans le Mariage de la Vierge, plus forte que vraie.

Mais dites-moi donc, mon ami, pourquoi ce Christ est plat dans presque toutes les compositions de peinture ? Est-ce une physionomie traditionnelle dont il ne soit pas possible de s’écarter, et Rubens a-t-il eu tort dans son Élévation de la Croix de lui donner un caractère grand et noble ?

Dites-moi aussi pourquoi tous les ressuscités sont hideux ?

  1. N’est pas au livret.