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SALON DE 1765

À MON AMI MONSIEUR GRIMM.

Non fumum ex fulgore, sed ex fumo dare lucem
Cogitat.

Horat. de Arte poet., v. 143.

Si j’ai quelques notions réfléchies de la peinture et de la sculpture, c’est à vous, mon ami, que je les dois ; j’aurais suivi au Salon la foule des oisifs ; j’aurais accordé, comme eux, un coup d’œil superficiel et distrait aux productions de nos artistes ; d’un mot, j’aurais jeté dans le feu un morceaux précieux, ou porté jusqu’aux nues un ouvrage médiocre, approuvant, dédaignant, sans rechercher les motifs de mon engouement ou de mon dédain. C’est la tâche que vous m’avez proposée, qui a fixé mes yeux sur la toile, et qui m’a fait tourner autour du marbre. J’ai donné le temps à l’impression d’arriver et d’entrer. J’ai ouvert mon âme aux effets. Je m’en suis laissé pénétrer. J’ai recueilli la sentence du vieillard et la pensée de l’enfant, le jugement de l’homme de lettres, le mot de l’homme du monde et les propos du peuple ; et s’il m’arrive de blesser l’artiste, c’est souvent avec l’arme qu’il a lui-même aiguisée. Je l’ai interrogé ; et j’ai compris ce que c’était que finesse de dessin et vérité de nature. J’ai conçu la magie de la lumière et des ombres. J’ai connu la couleur ; j’ai acquis le sentiment de la chair ; seul, j’ai médité ce que j’ai vu et entendu ; et ces termes de l’art, unité, variété, contraste, symétrie, ordonnance, composition, caractères, expression, si familiers dans ma bouche, si vagues dans mon esprit, se sont circonscrits et fixés.

Ô mon ami ! que ces arts, qui ont pour objet d’imiter la nature, soit avec le discours, comme l’éloquence et la poésie ;