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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/244

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SALON DE 1765.

soit avec les sons, comme la musique ; soit avec les couleurs et le pinceau, comme la peinture ; soit avec le crayon, comme le dessin ; soit avec l’ébauchoir et la terre molle, comme la sculpture ; le burin, la pierre et les métaux, comme la gravure ; le touret, comme la gravure en pierres fines ; les poinçons, le mattoir et l’échoppe, comme la ciselure, sont des arts longs, pénibles et difficiles !

Rappelez-vous ce que Chardin nous disait au Salon : « Messieurs, messieurs, de la douceur. Entre tous les tableaux qui sont ici, cherchez le plus mauvais ; et sachez que deux mille malheureux ont brisé entre leurs dents le pinceau, de désespoir de faire jamais aussi mal. Parrocel, que vous appelez un barbouilleur, et qui l’est en effet, si vous le comparez à Vernet ; ce Parrocel est pourtant un homme rare, relativement à la multitude de ceux qui ont abandonné la carrière dans laquelle ils sont entrés avec lui. Lemoine disait qu’il fallait trente ans de métier pour savoir conserver son esquisse[1] ; et Lemoine n’était pas un sot[2]. Si vous voulez m’écouter, vous apprendrez peut-être à être indulgents. »

Chardin semblait douter qu’il y eût une éducation plus longue et plus pénible que celle du peintre, sans en excepter celle du médecin, du jurisconsulte, ou du docteur de Sorbonne. « On nous met, disait-il, à l’âge de sept à huit ans, le porte-crayon à la main. Nous commençons à dessiner, d’après l’exemple, des yeux, des bouches, des nez, des oreilles, ensuite des pieds, des mains. Nous avons eu longtemps le dos courbé sur le portefeuille, lorsqu’on nous place devant l’Hercule ou le Torse ; et vous n’avez pas été témoins des larmes que ce Satyre, ce Gladiateur, cette Vénus de Médicis, cet Antinoüs ont fait couler. Soyez sûrs que ces chefs-d’œuvre des artistes grecs n’exciteraient plus la jalousie des maîtres, s’ils avaient été livrés au dépit des élèves. Après avoir séché des journées et passé des nuits à la lampe, devant la nature immobile et inanimée, on nous présente la nature vivante ; et tout à coup le travail de

  1. Conserver son esquisse veut dire transformer sa première ébauche en un tableau achevé. On peut savoir faire une belle esquisse, sans être en état de faire le tableau. Ceci soit dit sans interrompre M. Chardin et son rapporteur. (Note de Grimm, dans l’édition de l’an IV.)
  2. Variante : Lemoine savait ce qu’il disait.