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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/31

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spirent de la façon la plus avantageuse à l’accomplissement des fonctions animales de l’homme[1]. L’homme, la femme, le cheval et les autres animaux, continuera-t-il, occupent un rang dans la nature : or, dans la nature, ce rang détermine les devoirs à remplir ; les devoirs déterminent l’organisation, et l’organisation est plus ou moins parfaite ou belle, selon le plus ou le moins de facilité que l’animal en reçoit pour vaquer à ses fonctions. Mais cette fatalité n’est pas arbitraire, ni par conséquent les formes qui la constituent, ni la beauté qui dépend de ces formes. Puis descendant de là aux objets les plus communs, aux chaises, aux tables, aux portes, etc., il tâchera de vous prouver que la forme de ces objets ne nous plaît qu’à proportion de ce qu’elle convient mieux à l’usage auquel on les destine ; et si nous changeons si souvent de mode, c’est-à-dire si nous sommes si peu constants dans le goût pour les formes que nous leur donnons, c’est, dira-t-il, que cette conformation, la plus parfaite relativement à l’usage, est très-difficile à rencontrer ; c’est qu’il y a là une espèce de maximum qui échappe à toutes les finesses de la géométrie naturelle et artificielle, et autour duquel nous tournons sans cesse : nous nous apercevons à merveille quand nous en approchons et quand nous l’avons passé, mais nous ne sommes jamais sûrs de l’avoir atteint. De là cette révolution perpétuelle dans les formes : ou nous les abandonnons pour d’autres, ou nous disputons sans fin sur celles que nous conservons. D’ailleurs ce point n’est pas partout au même endroit ; ce maximum a dans mille occasions des limites plus étendues ou plus étroites : quelques exemples suffiront pour éclaircir sa pensée. Tous les hommes, ajoutera-t-il, ne sont pas capables de la même attention, et n’ont pas la même force d’esprit ; ils sont tous plus ou moins patients, plus ou moins instruits, etc. Que produira cette diversité ? c’est qu’un spectacle composé d’académiciens trouvera l’intrigue d’Héraclius admirable, et que le peuple la traitera d’embrouillée ; c’est que les uns restreindront l’étendue d’une comédie à trois actes, et les autres prétendront qu’on peut l’étendre à sept ; et ainsi du reste. Avec quelque vraisemblance que ce système soit exposé, il ne m’est pas possible de l’admettre.

  1. Voyez l’Essai sur le mérite et la vertu, t. I, 2e partie, iiie section.