Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/32

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Je conviens avec l’auteur qu’il se mêle dans tous nos jugements un coup d’œil délicat sur ce que nous sommes, un retour imperceptible vers nous-mêmes, et qu’il y a mille occasions où nous croyons n’être enchantés que par les belles formes, et où elles sont en effet la cause principale, mais non la seule, de notre admiration ; je conviens que cette admiration n’est pas toujours aussi pure que nous l’imaginons : mais comme il ne faut qu’un fait pour renverser un système, nous sommes contraints d’abandonner celui de l’auteur que nous venons de citer, quelque attachement que nous ayons eu jadis pour ses idées ; et voici nos raisons :

Il n’est personne qui n’ait éprouvé que notre attention se porte principalement sur la similitude des parties, dans les choses même où cette similitude ne contribue point à l’utilité : pourvu que les pieds d’une chaise soient égaux et solides, qu’importe qu’ils aient la même figure ? ils peuvent différer en ce point, sans en être moins utiles. L’un pourra donc être droit, et l’autre en pied de biche ; l’un courbe en dehors, et l’autre en dedans. Si l’on fait une porte en forme de bière, sa forme paraîtra peut-être mieux assortie à la figure de l’homme qu’aucune des formes qu’on suit. De quelle utilité sont en architecture les imitations de la nature et de ses productions ? à quelle fin placer une colonne et des guirlandes où il ne faudrait qu’un poteau de bois, ou qu’un massif de pierre ? À quoi bon ces cariatides ? Une colonne est-elle destinée à faire la fonction d’un homme, ou un homme a-t-il jamais été destiné à faire l’office d’une colonne dans l’angle d’un vestibule ? Pourquoi imite-t-on dans les entablements des objets naturels ? Qu’importe que dans cette imitation les proportions soient bien ou mal observées ? Si l’utilité est le seul fondement de la beauté, les bas-reliefs, les cannelures, les vases, et en général tous les ornements, deviennent ridicules et superflus.

Mais le goût de l’imitation se fait sentir dans les choses dont le but unique est de plaire, et nous admirons souvent des formes, sans que la notion de l’utile nous y porte. Quand le propriétaire d’un cheval ne le trouverait jamais beau que quand il compare la forme de cet animal au service qu’il prétend en tirer, il n’en est pas de même du passant à qui il n’appartient pas. Enfin on discerne tous les jours de la beauté dans des