Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/43

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qu’étant individu d’une espèce nombreuse, on le considère solitairement. Quand on prononça de la première horloge ou de la première montre qu’elle était belle, faisait-on attention à autre chose qu’à son mécanisme, ou au rapport de ses parties entre elles ? Quand on prononce aujourd’hui que la montre est belle, fait-on attention à autre chose qu’à son usage et à son mécanisme ? Si donc la définition générale du beau doit convenir à tous les êtres auxquels on donne cette épithète, l’idée de grandeur en est exclue. Je me suis attaché à écarter de la notion du beau la notion de grandeur, parce qu’il m’a semblé que c’était celle qu’on lui attachait plus ordinairement. En mathématique, on entend par un beau problème, un problème difficile à résoudre ; par une belle solution, la solution simple et facile d’un problème difficile et compliqué. La notion de grand, de sublime, d’élevé, n’a aucun lieu dans ces occasions où on ne laisse pas d’employer le nom de beau. Qu’on parcoure de cette manière tous les êtres qu’on nomme beaux : l’un exclura la grandeur, l’autre exclura l’utilité ; un troisième la symétrie ; quelques-uns même l’apparence marquée d’ordre et de symétrie : telle serait la peinture d’un orage, d’une tempête, d’un chaos ; et l’on sera forcé de convenir que la seule qualité commune, selon laquelle ces êtres conviennent tous, est la notion de rapports.

Mais quand on demande que la notion générale de beau convienne à tous les êtres qu’on nomme tels, ne parle-t-on que de sa langue, ou parle-t-on de toutes les langues ? Faut-il que cette définition convienne seulement aux êtres que nous appelons beaux en français, ou à tous les êtres qu’on appellerait beaux en hébreu, en syriaque, en arabe, en chaldéen, en grec, en latin, en anglais, en italien, et dans toutes les langues qui ont existé, qui existent ou qui existeront ? et pour prouver que la notion de rapports est la seule qui resterait après l’emploi d’une règle d’exclusion aussi étendue, le philosophe sera-t-il forcé de les apprendre toutes ? Ne lui suffit-il pas d’avoir examiné que l’acception du terme beau varie dans toutes les langues ; qu’on le trouve appliqué là à une sorte d’êtres, à laquelle il ne s’applique point ici, mais qu’en quelque idiome qu’on en fasse usage, il suppose perception de rapports ? Les Anglais disent a fine flavour, a fine woman, une belle femme,