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ESSAI SUR LA PEINTURE.

Une figure humaine est un système trop composé, pour que les suites d’une inconséquence insensible dans son principe ne jettent pas la production de l’art la plus parfaite à mille lieues de l’œuvre de Nature.

Si j’étais initié dans les mystères de l’art, je saurais peut-être jusqu’où l’artiste doit s’assujettir aux proportions reçues, et je vous le dirais. Mais ce que je sais, c’est qu’elles ne tiennent point contre le despotisme de la nature, et que l’âge et la condition en entraînent le sacrifice en cent manières diverses. Je n’ai jamais entendu accuser une figure d’être mal dessinée, lorsqu’elle montrait bien, dans son organisation extérieure, l’âge et l’habitude ou la facilité de remplir ses fonctions journalières. Ce sont ces fonctions qui déterminent et la grandeur entière de la figure, et la vraie proportion de chaque membre, et leur ensemble : c’est de là que je vois sortir, et l’enfant, et l’homme adulte, et le vieillard, et l’homme sauvage, et l’homme policé, et le magistrat, et le militaire, et le portefaix. S’il y avait une figure difficile à trouver, ce serait celle d’un homme de vingt-cinq ans, qui serait né subitement du limon de la terre, et qui n’aurait encore rien fait ; mais cet homme est une chimère.

L’enfance est presque une caricature ; j’en dis autant de la vieillesse. L’enfant est une masse informe et fluide, qui cherche à se développer ; le vieillard, une autre masse informe et sèche, qui rentre en elle-même, et tend à se réduire à rien. Ce n’est que dans l’intervalle de ces deux âges, depuis le commencement de la parfaite adolescence jusqu’au sortir de la virilité, que l’artiste s’assujettit à la pureté, à la précision rigoureuse du trait, et que le poco più ou poco meno, le trait en dedans ou en dehors fait défaut ou beauté.

Vous me direz : Quels que soient l’âge et les fonctions, en altérant les formes, elles n’anéantissent pas les organes. D’accord… Il faut donc les connaître… j’en conviens. Voilà le motif qu’on a d’étudier l’écorché.

L’étude de l’écorché a sans doute ses avantages ; mais n’est-il pas à craindre que cet écorché ne reste perpétuellement dans l’imagination ; que l’artiste n’en devienne entêté de la vanité de se montrer savant ; que son œil corrompu ne puisse plus s’arrêter à la superficie ; qu’en dépit de la peau et des graisses,