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ESSAI SUR LA PEINTURE.

loppé dans des guenilles, et qui passe ; des hommes à cheval, qui conversent, le nez sous leur manteau, et qui passent. Qui est-ce qui a suggéré ces accessoires ? L’affinité des idées. Tout passe ; l’homme et la demeure de l’homme. Changez l’espèce de l’édifice ruiné ; supposez à la place des ruines d’une ville quelque grand tombeau, vous verrez l’affinité des idées opérer pareillement sur l’artiste, et attirer des accessoires tout contraires aux premiers. Alors le voyageur fatigué aura déposé son fardeau à ses pieds, et lui et son chien seront assis et se reposeront sur les degrés du tombeau ; la femme, arrêtée et assise, allaitera son enfant ; les hommes seront descendus de cheval, et, laissant paître en liberté leurs animaux étendus sur la terre, ils continueront l’entretien, ou ils s’amuseront à lire l’inscription de la tombe. C’est que les ruines sont un lieu de péril, et que les tombeaux sont des sortes d’asiles ; c’est que la vie est un voyage, et le tombeau le séjour du repos ; c’est que l’homme s’assied où la cendre de l’homme repose.

Il y aurait un contre-sens à faire passer le voyageur le long du tombeau, et à l’arrêter entre des ruines. Si le tombeau comporte autour de lui quelques êtres qui se meuvent, ce sont ou des oiseaux qui planent au-dessus à une grande hauteur, ou d’autres qui passent à tire-d’aile, ou des travailleurs à qui le labeur dérobe le terme de la vie, et qui chantent au loin. Je ne parle ici que des peintres de ruines. Les peintres d’histoire, les paysagistes varient, contrastent, diversifient leurs accessoires comme les idées se diversifient, s’unissent, se fortifient, s’opposent et contrastent dans leur entendement.

Je me suis quelquefois demandé pourquoi les temples ouverts et isolés des Anciens sont si beaux, et font un si grand effet. C’est qu’on en décorait les quatre faces, sans nuire à la simplicité ; c’est qu’ils étaient accessibles de toutes parts : image de la sécurité : les rois même ferment leurs palais par des portes ; leur caractère auguste ne suffit pas pour les garantir de la méchanceté des hommes. C’est qu’ils étaient placés dans des lieux écartés, et que l’horreur d’une forêt environnante, se joignant au sombre des idées superstitieuses, remuait l’âme d’une sensation particulière. C’est que la Divinité ne parle pas dans le tumulte des villes ; elle aime le silence et la solitude. C’est que l’hommage des hommes y était porté d’une manière plus