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ESSAI SUR LA PEINTURE.

secrète et plus libre. Il n’y avait point de jours fixes où l’on s’y assemblât ; ou, s’il y en avait, ces jours-là le concours et le tumulte les rendaient moins augustes, parce que le silence et la solitude n’y étaient plus.

Si j’avais eu à former la place de Louis XV[1] où elle est, je me serais bien gardé d’abattre la forêt. J’aurais voulu qu’on en vît la profondeur obscure entre les colonnes d’un grand péristyle. Nos architectes sont sans génie ; ils ne savent ce que c’est que les idées accessoires, qui se réveillent par le local et les objets circonvoisins : c’est comme nos poëtes de théâtre, qui n’ont jamais su tirer aucun parti du lieu de la scène.

Ce serait ici le moment de traiter du choix de la belle nature. Mais il suffit de savoir que tous les corps et tous les aspects d’un corps ne sont pas également beaux : voilà pour les formes. Que tous les visages ne sont pas également propres à rendre fortement la même passion ; il y a des boudeuses charmantes, et des ris déplaisants : voilà pour les caractères. Que tous les individus ne montrent pas également bien l’âge et la condition, et qu’on ne risque jamais de se tromper, quand on établit la convenance la plus forte entre la nature dont on fait choix et le sujet qu’on traite.

Mais ce que j’esquisse ici en passant se trouvera peut-être un peu plus fortement rendu au chapitre de la composition qui va suivre. Qui sait où l’enchaînement des idées me conduira ? ma foi ! ce n’est pas moi.




CHAPITRE V.


Paragraphe sur la composition, où j’espère que j’en parlerai.

Nous n’avons qu’une certaine mesure de sagacité. Nous ne sommes capables que d’une certaine durée d’attention. Lorsqu’on fait un poëme, un tableau, une comédie, une histoire, un

  1. notre place de la Concorde.