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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/507

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ESSAI SUR LA PEINTURE.

roman, une tragédie, un ouvrage pour le peuple, il ne faut pas imiter les auteurs qui ont écrit des traités d’éducation. Sur deux mille enfants, à peine y en a-t-il deux qu’on puisse élever d’après leurs principes. S’ils y avaient réfléchi, ils auraient conçu qu’un aigle n’est pas le modèle commun d’une institution générale. Une composition, qui doit être exposée aux yeux d’une foule de toutes sortes de spectateurs, sera vicieuse, si elle n’est pas intelligible pour un homme de bon sens tout court.

Qu’elle soit simple et claire. Par conséquent aucune figure oisive, aucun accessoire superflu. Que le sujet en soit un. Le Poussin a montré dans un même tableau, sur le devant, Jupiter qui séduit Calisto ; et dans le fond, la nymphe séduite traînée par Junon. C’est une faute indigne d’un artiste aussi sage.

Le peintre n’a qu’un instant ; et il ne lui est pas plus permis d’embrasser deux instants que deux actions. Il y a seulement quelques circonstances où il n’est ni contre la vérité, ni contre l’intérêt, de rappeler l’instant qui n’est plus, ou d’annoncer l’instant qui va suivre. Une catastrophe subite surprend un homme au milieu de ses fonctions ; il est à la catastrophe, et il est encore à ses fonctions.

Un chanteur, que l’exécution d’un air di bravura met à la gêne ; un violon, qui se démène et se tourmente, m’angoisse et me chagrine. J’exige du chanteur tant d’aisance et de liberté, je veux que le symphoniste promène ses doigts sur les cordes, si facilement, si légèrement, que je ne me doute pas de la difficulté de la chose. Il me faut du plaisir pur et sans peine ; et je tourne le dos à un peintre qui me propose un emblème, un logogriphe à déchiffrer.

Si la scène est une, claire, simple et liée, j’en saisirai l’ensemble d’un coup d’œil ; mais ce n’est pas assez. Il faut encore qu’elle soit variée ; et elle le sera, si l’artiste est rigoureux observateur de la nature.

Un homme fait une lecture intéressante à un autre. Sans qu’ils y pensent l’un et l’autre, le lecteur se disposera de la manière la plus commode pour lui ; l’auditeur en fera autant. Si c’est Robbé qui lit, il aura l’air d’un énergumène ; il ne regardera pas son papier, ses yeux seront égarés dans l’air. Si je l’écoute, j’aurai l’air sérieux. Ma main droite ira chercher