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ESSAI SUR LA PEINTURE.

ments de la postérité ; ou si tu n’en as pas le courage, peins-moi du moins celui qu’elle a porté. Renverse sur les peuples fanatiques l’ignominie dont ils ont prétendu couvrir ceux qui les instruisaient et qui leur disaient la vérité. Étale-moi les scènes sanglantes du fanatisme. Apprends aux souverains et aux peuples ce qu’ils ont à espérer de ces prédicateurs sacrés du mensonge. Pourquoi ne veux-tu pas l’asseoir aussi parmi les précepteurs du genre humain, les consolateurs des maux de la vie, les vengeurs du crime, les rémunérateurs de la vertu ? Est-ce que tu ne sais pas que,

       Segnius irritant animos demissa per aurem,
       Quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ
       Ipse sibi tradit spectator ?…

                              Horat. de Arte poet., v. 180 et seq.

Tes personnages sont muets, si tu veux ; mais ils font que je me parle, et que je m’entretiens avec moi-même.

On distingue la composition en pittoresque et en expressive. Je me soucie bien que l’artiste ait disposé ses figures pour les effets les plus piquants de lumière, si l’ensemble ne s’adresse point à mon âme ; si ces personnages y sont comme des particuliers qui s’ignorent dans une promenade publique, ou comme les animaux au pied des montagnes du paysagiste.

Toute composition expressive peut être en même temps pittoresque ; et quand elle a toute l’expression dont elle est susceptible, elle est suffisamment pittoresque ; et je félicite l’artiste de n’avoir pas immolé le sens commun au plaisir de l’organe. S’il eût fait autrement, je me serais écrié, comme si j’avais entendu un beau parleur qui déraisonne : « Tu dis très-bien, mais tu ne sais ce que tu dis. »

Il y a sans doute des sujets ingrats ; mais c’est pour l’artiste ordinaire qu’ils sont communs. Tout est ingrat pour une tête stérile. À votre avis, était-ce un sujet bien intéressant qu’un prêtre qui dicte à son secrétaire des homélies ? Voyez cependant ce que Carle Van Loo en a fait. C’est, sans contredit, le sujet le plus simple, et la plus belle de ses esquisses.

On a prétendu que l’ordonnance était inséparable de l’expression. Il me semble qu’il peut y avoir de l’ordonnance sans