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ESSAI SUR LA PEINTURE.

ture historique, qu’elle exige autant d’esprit, d’imagination, de poésie même, égale science du dessin, de la perspective, de la couleur, des ombres, de la lumière, des caractères, des passions, des expressions, des draperies, de la composition ; une imitation plus stricte de la nature, des détails plus soignés ; et que, nous montrant des choses plus connues et plus familières, elle a plus de juges et de meilleurs juges.

Homère est-il moins grand poëte, lorsqu’il range des grenouilles en bataille sur les bords d’une mare, que lorsqu’il ensanglante les flots du Simoïs et du Xante, et qu’il engorge le lit des deux fleuves de cadavres humains ? Ici seulement les objets sont plus grands, les scènes plus terribles. Qui est-ce qui ne se reconnaît pas dans Molière ? Et si l’on ressuscitait les héros de nos tragédies, ils auraient bien de la peine à se reconnaître sur notre scène ; et, placés devant nos tableaux historiques, Brutus, Catilina, César, Auguste, Caton, demanderaient infailliblement qui sont ces gens-là. Qu’est-ce que cela signifie, sinon que la peinture d’histoire demande plus d’élévation, d’imagination peut-être, une autre poésie plus étrange ? la peinture de genre, plus de vérité ? et que cette dernière peinture, même réduite au vase et à la corbeille de fleurs, ne se pratiquerait pas sans toute la ressource de l’art et quelque étincelle de génie, si ceux dont elle décore les appartements avaient autant de goût que d’argent ?

Pourquoi me placer sur ce buffet nos maussades ustensiles de ménage ? est-ce que ces fleurs seront plus brillantes dans un pot de la manufacture de Nevers, que dans un vase de meilleure forme ? Et pourquoi ne verrais-je pas, autour de ce vase, une danse d’enfants, les joies du temps de la vendange, une bacchanale ? Pourquoi, si ce vase a des anses, ne les pas former de deux serpents entrelacés ? pourquoi la queue de ces serpents n’irait-elle pas faire quelques circonvolutions à la partie inférieure ? et pourquoi leurs têtes penchées sur l’orifice, ne sembleraient-elles pas y chercher l’eau pour se désaltérer ? Mais il faudrait savoir animer les choses mortes ; et le nombre de ceux qui savent conserver la vie aux choses qui l’ont reçue est facile à compter.

Un mot encore, avant que de finir, sur les peintres en portrait et sur les sculpteurs.