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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/522

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ESSAI SUR LA PEINTURE.

des premiers hommes de l’État, des maisons des citoyens opulents, offriront de toutes parts de grandes surfaces nues qu’il faudra couvrir.

Les chétifs dieux domestiques ne répondront plus à l’espace qu’on leur aura accordé ; il en faudra tailler d’autres.

On les taillera du mieux qu’on pourra ; on revêtira les murs de toiles plus ou moins mal barbouillées.

Mais le goût s’accroissant avec la richesse et le luxe, bientôt l’architecture des temples, des palais, des hôtels, des maisons, deviendra meilleure ; et la sculpture et la peinture suivront ses progrès.

J’en appelle à présent de ces idées à l’expérience. Citez-moi un peuple qui ait des statues et des tableaux, des peintres et des sculpteurs, sans palais ni temples, ou avec des temples d’où la nature du culte ait banni la toile coloriée et la pierre sculptée.

Mais si c’est l’architecture qui a donné naissance à la peinture et à la sculpture, c’est en revanche à ces deux arts que l’architecture doit sa grande perfection, et je vous conseille de vous méfier du talent d’un architecte qui n’est pas un grand dessinateur. Où cet homme se serait-il formé l’œil ? où aurait-il pris le sentiment exquis des proportions ? où aurait-il puisé les idées du grand, du simple, du noble, du lourd, du léger, du svelte, du grave, de l’élégant, du sérieux ? Michel-Ange était grand dessinateur, lorsqu’il conçut le plan de la façade et du dôme de Saint-Pierre de Rome ; et notre Perrault dessinait supérieurement, lorsqu’il imagina la colonnade du Louvre.

Je terminerai ici mon chapitre sur l’architecture. Tout l’art est compris sous ces trois mots : solidité ou sécurité, convenance et symétrie.

D’où l’on doit conclure que ce système de mesures d’ordres vitruviennes et rigoureuses semble n’avoir été inventé que pour conduire à la monotonie et étouffer le génie.

Cependant je ne finirai point ce paragraphe sans vous proposer un petit problème à résoudre.

On dit de Saint-Pierre de Rome, que les proportions y sont si parfaitement gardées, que l’édifice perd au premier coup d’œil tout l’effet de sa grandeur et de son étendue ; en sorte qu’on peut en dire : Magnus esse, sentiri parvus.