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ESSAI SUR LA PEINTURE.

l’adorateur ; mais de vous convaincre que, sans architecture, il n’y a ni peinture, ni sculpture ; et que c’est à l’art, qui n’a point de modèle subsistant sous le ciel, que les deux arts imitateurs de la nature doivent leur origine et leur progrès.

Transportez-vous dans la Grèce, au temps où une énorme poutre de bois, soutenue sur deux troncs d’arbres équarris, formait la magnifique et superbe entrée de la tente d’Agamemnon ; ou, sans remonter si loin dans les âges, établissez-vous entre les sept collines, lorsqu’elles n’étaient couvertes que de chaumières, et ces chaumières habitées par les brigands, aïeux des fastueux maîtres du monde.

Croyez-vous que dans toutes ces chaumières il y eût un seul morceau de peinture, bonne ou mauvaise ? Certainement vous ne le croyez pas.

Et les dieux, mieux révérés peut-être que quand ils sortirent de dessous le ciseau des plus grands maîtres, comment les y voyez-vous ? Fort inférieurs, beaucoup plus mal taillés, sans doute, que ces bûches de bois informes auxquelles le charpentier a fait à peu près un nez, des yeux, une bouche, des pieds et des mains, et devant lesquelles l’habitant de nos hameaux fait sa prière.

Eh bien, mon ami, comptez que les temples, les chaumières et les dieux resteront dans cet état misérable, jusqu’à ce qu’il arrive quelque grande calamité publique, une guerre, une famine, une peste, un vœu public, en conséquence duquel vous voyiez un arc de triomphe élevé au vainqueur, une grande fabrique de pierre consacrée au dieu.

D’abord l’arc de triomphe et le temple ne se feront remarquer que par la masse, et je ne crois pas que la statue qu’on y placera ait d’autre avantage sur l’ancienne que d’être plus grande. Pour plus grande, elle le sera certainement ; car il faudra proportionner l’hôte à son nouveau domicile.

De tous temps les souverains ont été les émules des dieux. Lorsque le dieu aura une vaste demeure, le souverain exhaussera la sienne ; les grands, émules des souverains, exhausseront les leurs : les premiers citoyens, émules des grands, en feront autant ; et dans l’intervalle de moins d’un siècle, il faudra sortir de l’enceinte des sept collines pour retrouver une chaumière.

Mais les murs des temples, du palais du maître, des hôtels