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PENSÉES DÉTACHÉES
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Rien n’est plus ridicule et plus ordinaire dans la société qu’un sot qui veut tirer d’embarras un homme de génie. Eh ! pauvre idiot, laisse-le se tourmenter, le mot lui viendra ; et quand il l’aura dit, tu ne l’entendras pas.

de la critique.

Je voudrais bien savoir où est l’école où l’on apprend à sentir.

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Il en est une autre où j’enverrais bien des élèves, c’est celle où l’on apprendrait à voir le bien et à fermer les yeux sur le mal. Eh ! n’as-tu vu dans Homère que l’endroit où le poëte peint les puérilités dégoûtantes du jeune Achille ? Tu remues le sable d’un fleuve qui roule des paillettes d’or, et tu reviens les mains pleines de sable, et tu laisses les paillettes !

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Je disais à un jeune homme : « Pourquoi blâmes-tu toujours, et ne loues-tu jamais ? — C’est, me répondit-il, que mon blâme déplacé ne peut faire du mal qu’à un autre… » Si je ne l’avais connu pour un bon enfant, combien il se serait trompé !

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On est plus jaloux de passer pour un homme d’esprit, que l’on ne craint de passer pour un méchant. N’est-ce donc pas assez des inconvénients de l’esprit sans y joindre ceux de la méchanceté ? Tous les sots redoutent l’homme d’esprit ; tout le monde redoute le méchant, sans en excepter les méchants.

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Il est peu, très-peu d’hommes, qui se réjouissent franchement du succès de celui qui court la même carrière ; c’est un des phénomènes les plus rares de la nature.

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L’ambition de César est bien plus commune qu’on ne pense ; le cœur ne propose pas même l’alternative, il ne dit pas : aut Cæsar, aut nihil.