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SUR LA PEINTURE.

n’ont pas été plus nuisibles qu’utiles. Entendons-nous : elle ont servi à l’homme ordinaire ; elles ont nui à l’homme de génie.

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Les pygmées de Longin, vains de leur petitesse, arrêtaient leur croissance par des ligatures. De te fabula narratur, homme pusillanime qui crains de penser.

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Je suis sûr que lorsque Polygnote de Thasos et Myron d’Athènes quittèrent le camaïeu, et se mirent à peindre avec quatre couleurs, les anciens admirateurs de la peinture traitèrent leurs tentatives de libertinage.

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Je crois que nous avons plus d’idées que de mots. Combien de choses senties, et qui ne sont pas nommées ! De ces choses, il y en a sans nombre dans la morale, sans nombre dans la poésie, sans nombre dans les beaux-arts. J’avoue que je n’ai jamais su dire ce que j’ai senti dans l’Andrienne de Térence et dans la Vénus de Médicis. C’est peut-être la raison pour laquelle ces ouvrages me sont toujours nouveaux. On ne retient presque rien sans le secours des mots, et les mots ne suffisent presque jamais pour rendre précisément ce que l’on sent.

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On regarde ce que l’on sent et ce que l’on ne saurait rendre, comme son secret.

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Rien n’est si aisé que de reconnaître l’homme qui sent bien et qui parle mal, de l’homme qui parle bien et qui ne sent pas. Le premier est quelquefois dans les rues, le second est souvent à la cour.

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Le sentiment est difficile sur l’expression ; il la cherche, et cependant, ou il balbutie, ou il produit d’impatience un éclair de génie. Cependant cet éclair n’est pas la chose qu’il sent ; mais on l’aperçoit à sa lueur.

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Un mauvais mot, une expression bizarre m’en a quelquefois plus appris que dix belles phrases.