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PENSÉES DÉTACHÉES

les serpents repliés sur la tête des Euménides. Que Méduse soit belle, mais que son caractère m’inspire l’effroi : cela se peut ; c’est une femme que j’aime à voir, mais dont je crains de m’approcher.

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Ovide, dans ses Métamorphoses, fournira à la peinture des sujets bizarres ; Homère les fournira grands.

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Pourquoi l’Hippogriffe, qui me plaît tant dans le poëme, me déplairait-il sur la toile ? J’en vais dire une raison bonne ou mauvaise. L’image, dans mon imagination, n’est qu’une ombre passagère. La toile fixe l’objet sous mes yeux et m’en inculque la difformité. Il y a, entre ces deux imitations, la différence d’il peut être à il est.

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La fable des habitants de l’île de Délos métamorphosés en grenouilles est un sujet propre pour une grande pièce d’eau.

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Jamais un peintre de goût n’occupera son pinceau des compagnons d’Ulysse changes en pourceaux. Le Carrache l’a fait pourtant au palais Farnèse.

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Ne me représentez jamais le Pô, ou ôtez-lui sa tête de taureau.

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Lucien parle d’une contrée où les habitants avaient le malheureux avantage de détacher leurs yeux de leurs têtes, et d’emprunter ceux de leurs voisins quand ils avaient égaré les leurs. — Où est cette contrée ? — Et vous qui me faites cette question, de quel pays êtes-vous ?

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Horace a dit :

Nec pueros coram populo Medea trucidet.
Horat. de Art. poet., vers. 185.

et Rubens m’a montré Judith sciant la tête d’Holopherne. Ou Horace a dit, ou Rubens a fait une sottise.