Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/214

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autant qu’il est en lui, et revient à Naples sans l’avoir vue, l’âme remplie de passion, mais un peu soulagée par la conduite généreuse qu’il avait tenue. Il arrive le soir chez lui, et son premier mouvement est de tourner les yeux sur ce canapé où il avait vu la première fois cette femme. Qui retrouve-t-il sur ce canapé ? Sa Flaminia, sa maîtresse. Elle l’avait devancé, et rapporté tous les effets qu’elle avait pris. Wilkes la reconnaît, pousse un cri, et se sauve chez l’abbé Galiani à qui il apprend la dernière circonstance de son aventure, la seule qu’il ignorât. Cette femme suit Wilkes chez l’abbé ; elle se jette à ses pieds ; elle demande à se jeter aux pieds de Wilkes, et elle accompagne sa prière d’un geste bien pathétique ; en se relevant elle montre à l’abbé qu’elle est mère, ajoutant que, quelle qu’ait été sa conduite, M. Wilkes ne doutera point que l’enfant qu’elle porte ne soit de lui. Voilà Wilkes et l’abbé très-embarrassés. Après un moment de silence, Wilkes se lève, et dit à l’abbé : « Mon ami, mon parti est pris ; voyez cette femme, conduisez-la chez moi, ordonnez qu’on la serve comme auparavant, et dites-lui qu’elle y attende en repos ma résolution. » L’abbé exécute ce que Wilkes lui dit ; cependant celui-ci fait faire ses malles, et cet homme, qui n’avait pas mis le pied dans un vaisseau du roi sans frémir, par la crainte involontaire de la mer et de l’eau, s’expose dans un bateau grand comme une chambre, et traverse la Méditerranée, au hasard de périr cent fois, laissant en partant, à la femme qu’il fuyait, ses chevaux, ses équipages, sa vaisselle, ses meubles, tout ce qu’il y avait dans sa maison, avec trois cents guinées qu’il charge l’abbé de lui remettre. On lit dans les gazettes publiques une partie de ce que je vous dis, et l’abbé Galiani a écrit le reste à Grimm, à peu près comme vous le savez à présent.

Je ne sais ce que vous penserez de Wilkes, mais ce procédé m’a donné la meilleure opinion de son cœur. Si cet homme en use ainsi avec une courtisane ingrate et malhonnête, que ne fera-t-il point pour un ami malheureux, pour une femme tendre, honnête et fidèle ?

Voici une histoire qui s’est passée à ma porte, et qui n’est pas tout à fait de la même couleur. Le lieu de la scène est à la Charité. Le frère Côme avait besoin d’un cadavre pour faire quelques expériences sur la taille. Il s’adresse au père infirmier ; celui-ci lui dit : a Vous venez tout à temps. Il y a là, numéro 46,