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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/215

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un grand garçon qui n’a plus que deux heures à aller. — Deux heures ? lui répond le frère Côme ; ce n’est pas tout à fait mon compte. Il faut que j’aille ce soir à Fontainebleau, d’où je ne reviendrai que demain au soir sur les sept heures au plus tôt. — Eh bien ! cela ne fait rien, lui dit l’infirmier, parlez toujours ; on tâchera de vous le pousser. » Le frère Côme part, l’infirmier s’en va à l’apothicairerie, ordonne un bon cordial pour le numéro 46. Le cordial fait à merveille ; le malade dort cinq à six heures. Le lendemain l’infirmier s’en va à son lit ; il le trouve sur son séant, toussant et crachant librement ; presque plus de fièvre, plus d’oppression, pas le moindre mal de côté. « Ah ! père, lui dit le malade, je ne sais ce que vous m’avez donné, mais vous m’avez rendu la vie. — Tout de bon ? — Rien n’est plus vrai. Encore une potion comme celle-là, et je suis hors d’affaire. — Oui, et le frère Côme ! qu’en, dira-t-il ? — Que dites-vous du frère Côme ? — Rien, rien », répondit l’infirmier en se frottant le menton avec la main et un peu contristé, décontenancé. « Père, lui dit le malade, vous faites la mine ; vous voilà comme si vous étiez fâché de ce que je vais mieux. — Non, non, ce n’est pas cela, » Cependant, d’heure en heure, l’infirmier allait au lit du malade, et lui disait : « Eh bien ! l’ami, comment cela va-t-il ? — Père, à merveille. » Et l’infirmier en s’éloignant disait : « Si cela allait tenir ? Je vous l’aurai si bien poussé qu’il en reviendra » ; ce qui fut en effet. Le lendemain, le frère Côme arrive pour son expérience : « Eh bien ! dit-il à l’infirmier, mon cadavre ? — Votre cadavre ! il n’y en a point. — Comment, il n’y en a point ! — Non. Aussi c’est de votre faute. Notre homme ne demandait pas mieux que de mourir, c’est vous qui êtes la cause qu’il en est revenu. Pour votre peine vous attendrez. Que diable aussi, pourquoi vous en aller à Fontainebleau ? Si vous étiez resté, je n’aurais jamais pensé à lui donner ce cordial qui l’a guéri, et votre expérience serait faite. — Eh bien ! dit le frère Côme, il n’y a pas grand mal à cela ; nous attendrons, ce sera pour une autre fois. »

Pour celle-ci, vous en croirez ce qu’il vous plaira ; quant à la précédente, n’en rabattez pas un mot.

Vous pouvez presque vous dispenser de m’envoyer votre conseil sur la conduite de la femme et des deux hommes dont je vous ai raconté la position dans ma lettre précédente. Le