Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/342

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m’y attendais à beaucoup d’affaires déplaisantes, et j’y en ai trouvé plus que je n’en espérais. Nous partîmes, Grimm et moi, le même jour que vous ; mais il y a toute apparence que vous n’étiez pas à moitié de votre route que la nôtre était achevée. Ç’a été l’affaire de trente-cinq heures. Grimm a dîné et soupé une fois avec nous ; le lendemain de notre arrivée, il est parti pour Bourbonne ; il y a passé cinq jours sans moi, trois jours avec moi ; et moi, cinq jours sans lui. Je ne vous dirai rien de la santé de Mme de Meaux et de madame sa fille, que vous ne connaissez point, et qui ne peuvent vous inspirer un grand intérêt. Mais je puis vous dire des nouvelles positives de celle de M. et de Mme de Sorlières ; je n’ai pas manqué un seul jour de les aller voir : c’était un si grand plaisir pour eux et une si bonne œuvre de ma part ! Mme de Sorlières est fort bien ; elle a de la gaieté autant que sa position lui en permet. Je ne me suis point aperçu, en comparant son visage et son humeur de Paris avec le visage et l’humeur que je lui ai vus à Bourbonne, que l’un ou l’autre eût souffert de son voyage. M. de Sorlières est à peu près tel qu’il était ; il prétend que son bras a pris un peu plus de liberté ; mais en vérité on le dispenserait volontiers de la preuve qu’il en donne ; cela fait une peine infinie à voir ; il lui faut deux bonnes minutes au moins pour porter sa main jusqu’à son menton, et c’est un long voyage pour cette main. Sans les douleurs de sa jambe et de sa cuisse, il en ignorerait l’existence. Ces douleurs sont pourtant moins aiguës ; il peut monter un escalier ; mais c’est une si terrible corvée que de le descendre, que s’il arrive en visite à l’heure de la promenade, on prend son parti, on le laisse par égard et l’on s’en va. Mme de Sorlières ne sort point : je ne l’ai aperçue hors de chez elle qu’une seule fois, c’était au jardin des Capucins, qui est ouvert à tous les malades. Quand je quittai Bourbonne, M. de Sorlières se disposait à s’abandonner à toutes les ressources des eaux, en les prenant à la fois en boisson, en bains et en douches. Ce qui me fâche, c’est que son embonpoint se soutient. Sa maladie est, je crois, une de celles qui ne guérissent point sans empirer. Je voudrais qu’il s’élevât subitement dans cette masse de liqueurs et de chairs une fièvre violente qui le secouât fortement.

Bourbonne est un séjour triste, le jour par la rencontre des malades, la nuit par le fracas de leur arrivée ; et puis, nulle