Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/349

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musique. Quelques jours après la Saint-Denis, je suis parti pour le Grandval, où j’ai apporté une besogne immense, et où j’en ai trouvé de la bien plus difficile à faire. J’ai commencé par celle sur laquelle je ne comptais pas. Il est impossible que l’on ne soit heureux où l’on fait le bien. J’ai fait retirer vos volumes de la chambre syndicale, avant que de quitter la ville. Je n’ai vu qu’une fois l’abbé ; je ne sais s’il vous aura écrit la lettre en question ; mais de retour à Paris, soyez sûres que j’y veillerai. Nous reviendrons le lendemain de la Saint-Martin tous ensemble. À présent que je suis hors de danger, et que je me porte bien, il faut que vous sachiez que j’ai pensé mourir d’une indigestion de pain ; cela ne pouvait ni remonter ni descendre : j’ai gardé sur mon estomac pendant plus de quinze heures un poids effroyable qui m’étouffait, et qui ne se laissait pas ébranler par l’eau chaude, de quelque côté que je la prisse. J’en suis encore à vivre de régime, chose difficile ici, où les repas sont énormes, et où l’on désoblige sérieusement la maîtresse de la maison quand on n’use pas de la bonne chère qu’elle vous fait d’aussi bonne grâce qu’elle y en met. J’ai profité de l’extrême liberté de cette indisposition qui m’a affranchi de toutes les petites servitudes de bienséance, pour me renfermer davantage dans mon appartement, et pour travailler davantage. J’ai mis au net, pour la seconde fois, le Traité d’harmonie du petit-maître de ma fille[1] Je vous dirai en passant que le petit Allemand, pour avoir voulu me suivre le jour de ma fête, et faire les honneurs de ma table et de son pays, en a pensé mourir. Je suis après la Mère jalouse de M. Barthe, comédie nouvelle. J’ai encore deux ou trois autres petits projets pour lesquels il me faudrait plus de temps qu’il ne m’en reste. Je m’étais si bien fait à la vie de province que je l’ai regrettée. Je suis si bien fait à la vie de campagne, qu’il ne m’en coûterait rien pour renoncer à la ville, à présent surtout que vous n’y êtes pas ; combien on y a de temps, et comme on l’emploie ! De ce temps que j’ai ici à profusion, j’en ai donné à Grimm quelques moments. Nous recevons de temps en temps des transfuges de Paris : l’abbé Morellet nous est venu ; oh ! le plaisant corps ! comme je vous en amuserais, si j’en avais le temps ! Il m’a laissé le seul exemplaire de son ouvrage, qui a

  1. Bemetzrieder. Voir ce Traité, tome XII.