Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/360

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volume s’est faite à Berlin, où je n’ai pas voulu passer, quoique j’y fusse invité par le roi. Ce n’est pas l’eau de la Néva qui m’a fait mal, c’est une double attaque d’inflammation d’entrailles en allant ; ce sont des coliques et un mal effroyable de poitrine causés par la rigueur du froid à Pétersbourg, pendant mon séjour ; c’est une chute dans un bac à Mittau, à mon retour, qui ont pensé me tuer ; mais la douleur de la chute et les autres accidents se sont dissipés ; et si votre santé était à peu près aussi bonne que la mienne, je serais fort content de vous.

J’avais laissé Grimm malade à Pétersbourg ; il est convalescent et au moment de son retour ; il revient l’âme navrée de douleur : la landgrave de Darmstadt, qu’il avait accompagnée, son amie, la mère de la grande-duchesse, vient de mourir. Je ne saurais vous dire l’étendue de la perte qu’il fait en cette femme. Ma fille m’apprend que, pendant mon absence, vous avez eu quelque bonté pour elle ; je vous en fais bien mes remerciements. Ne craignez rien pour ma santé ; nous nous retirons de bonne heure, nous ne soupons presque pas. Je n’ai pas encore le courage de travailler ; il faut laisser le temps à mes membres disloqués de se rejoindre ; c’est l’affaire du sommeil ; aussi, depuis mon retour, je dors huit à neuf heures de suite. Le prince a son travail politique ; la princesse mène une vie qui n’est guère compatible avec la jeunesse, la légèreté de son esprit, et le goût frivole de son âge ; elle sort peu ; ne reçoit presque pas compagnie, a des maîtres d’histoire, de mathématiques, de langues ; quitte fort bien un grand dîner de cour pour se rendre chez elle à l’heure de sa leçon, s’occupe de plaire à son mari ; veille elle-même à l’éducation de ses enfants ; a renoncé à la grande parure ; se lève et se couche de bonne heure, et ma vie se règle sur celle de sa maison. Nous nous amusons à disputer connue des diables ; je ne suis pas toujours de l’avis de la princesse, quoique nous soyons un peu férus tous deux de l’antiquomanie, et il semble que le prince ait pris à tâche de nous contredire en tout : Homère est un nigaud ; Pline, un sot fieffé ; les Chinois, les plus honnêtes gens de la terre, et ainsi du reste. Comme tous ces gens-là ne sont ni nos cousins, ni nos intimes, il n’entre dans la dispute que de la gaieté, de la vivacité, de la plaisanterie, avec une petite pointe d’amour-propre qui l’assaisonne. Le prince, qui a tant acquis de tableaux, aime