Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et à s’adresser à l’avenir, également ivre, également heureux, soit qu’il boive à pleine coupe l’immortalité, soit qu’il dédaigne l’ambroisie de l’avenir et qu’il dise :

Nos ubi decidimus.
Quo pius Æneas, quo Tullus dives, et Ancus,
Pulvis et umbra sumus.


C’est à la postérité qu’on destine tout ce que l’on écrit d’éloquent contre elle. Le travail effroyable des injures qu’on lui adresse est une grande marque de respect qu’on lui porte. On l’adore même en l’insultant. Une satire contre elle, qui ne mérite pas de lui être transmise, ne valait pas la peine d’être faite.

Si le fantôme séduisant ne vous a point encore apparu, c’est que vous ne l’avez pas attendu à l’heure des revenants. Ce n’est pas lorsque le génie lutte contre la difficulté, de l’ouvrage, lorsque la muse en travail s’agite ; lorsque l’artiste, la bouche entr’ouverte, la poitrine haletante, a l’œil fixe sur la nature ; ce n’est pas lorsque la Pythie écume, se tourmente sur le trépied,

· · · · · · · · · · Si pectore possit
Excussisse Deum
[1],


Que les ombres de nos neveux se suscitent, se forment et se montrent ; c’est lorsque l’oracle est rendu, que ces feuilles volantes se sont échappées du sanctuaire et que les peuples les ont lues. Ces ombres aiment les instants plus tranquilles ; c’est quand le présent a parlé ; c’est dans le silence qui succède au bruit de ses éloges qu’on entend leur murmure. Les douleurs de l’enfantement sont passées lorsqu’on présente à la mère le nouveau-né, le sourire tendre se fond sur son visage avec les vestiges de la peine ; sa curiosité ne s’éveille, elle ne le dépose cet enfant, sur un oreiller, devant elle, elle ne forme un pronostic sur ce qu’il deviendra, qu’après que la famille s’est éloignée. S’il vous arrivait quelque jour, libre de tout soin, d’être conduit par hasard dans une galerie solitaire, et d’y trouver

  1. Virg., Æneid., lib. VI, v. 78-79.