Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/135

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Les juges que vous avez négligés valaient bien les autres.

D’où je conclus que le sentiment de l’immortalité et le respect de la postérité émeuvent le cœur et élèvent l’âme ; que ce sont deux germes de grandes choses, deux promesses aussi solides qu’aucune autre, et deux jouissances aussi réelles que la plupart des jouissances de la vie, mais plus nobles, plus avantageuses et plus honnêtes.

Reprenez mes petits feuillets, placez-les devant vous avec cette lettre, et vous aurez à peu près tout ce que je pense du sentiment de l’immortalité et du respect de la postérité.

N. B. 1o Que lorsque je m’applique à moi-même la meilleure partie des choses que j’avance sur ces deux belles ivresses, c’est que présentées sous cette forme propre et personnelle, elles en deviennent plus énergiques. Autre chose est de parler d’un sentiment qu’on éprouve soi-même, qui vit, qu’on reconnaît au fond de son âme, autre chose est de parler d’un sentiment étranger et qu’on suppose dans l’âme des autres. La certitude que les siècles futurs s’entretiendraient aussi de moi, qu’ils me compteraient parmi les hommes illustres de ma nation, et que j’aurais honoré mon siècle aux yeux de la postérité, me serait, je l’avoue, infiniment plus douce que toute la considération actuelle, tous les éloges présents ; mais il s’en manque beaucoup que je l’aie. Si l’histoire des lettres m’accorde une ligne, ce n’est pas au mérite de mes ouvrages, c’est à la fureur de mes ennemis que je la devrai. On ne dira rien de ce que j’ai fait, mais on dira peut-être un mot de ce que j’ai souffert. Adieu, mon ami, bonsoir ; vous m’avez fait écrire un jour et une nuit tout de suite.

2o Que les vérités du sentiment sont plus inébranlables dans notre âme que les vérités de démonstration rigoureuse, quoiqu’il soit souvent impossible de satisfaire pleinement l’esprit sur les premières. Toutes les preuves qu’on en apporte, prises séparément, peuvent être contestées, mais le faisceau est plus difficile à rompre. Quand vous aurez brisé tous mes bâtonnets, je n’en soupirerai pas moins après l’immortalité, je n’en respecterai pas moins la postérité. Je vous dirai toujours ce que