Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/148

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l’expression de la douleur n’était aussi forte dans aucune autre figure. Avoir pensé à nous montrer une femme plus sensible au déshonneur qu’à l’esclavage ou à la mort, c’est une idée sublime, ou il n’y en a point.

La composition se termine par des domestiques d’Anténor qui chargent sur un âne une cruche couverte d’osier et d’autres bagages, entre lesquels ils ont assis un jeune enfant.

C’est donc entre Phrontis qui dispose le vaisseau de Ménélas à partir, et les domestiques d’Anténor qui chargent sur un âne une cruche et du bagage, que Polygnote a renfermé son sujet. Comme cela est bien entendu ! comme cela est sage !

Prenez votre partie là-dessus : ou il y avait eu avant Polygnote une infinité de peintres dont les noms sont tombés dans l’oubli, ou Polygnote est dans son genre un homme presque aussi étonnant qu’Homère.

Consultez l’histoire des beaux-arts chez toutes les nations, et vous y verrez l’architecture, la peinture et la sculpture devancer de bien loin dans leurs progrès l’éloquence et la poésie : or, la Grèce avait de grands poètes avant Polygnote. Concluez.

Il y a dans Homère des descriptions de trépieds, d’ustensiles, soit à l’usage des temples, soit à l’usage des camps, soit à l’usage des maisons, de la plus grande richesse d’ornements et de goût ; or, le progrès de la décoration n’est que le dernier reflet des beaux-arts sur les choses d’un usage commun. Concluez.

Je passe maintenant aux réflexions que vous avez faites sur ma pauvre traduction littérale de Pausanias.

J’ai dit qu’un voile bien jeté, des cheveux renoués avec élégance me désignaient suffisamment le goût d’une nation soit en peinture, soit en sculpture, soit en poésie ; vous me répondez qu’à vous, il faut bien autre chose ; c’est que vous n’avez pas assez senti tout ce que ces bagatelles apparentes entraînent, et lorsque vous convenez qu’au temps de Polygnote, l’élégance des vêtements, des ustensiles et de la décoration pouvait être de mode, j’en aurais plutôt conclu que les beaux-arts tombaient vers leur déclin, que d’en être à leur origine. De bonne foi, lorsqu’une nation a produit un chef-d’œuvre d’éloquence et de poésie, croyez-vous qu’elle puisse admirer une sottise en peinture ? Quand on a les scènes, les images et les imitations