Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/158

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De votre aveu, ceux qui se sont occupés d’ouvrages posthumes sont sages ; de votre aveu, ils ont remis leur lettre à un porteur fidèle. Voilà, en deux mots, l’éloge du présent et de l’avenir ; je ne vous en demande guère davantage.

Si quelque homme a ambitionné l’épitaphe :


Dulce et decorum est pro patriâ mori[1],


vous l’admirez ; mais vous le trouvez moins sage que celui qui a esquivé cet honneur. Quoi ! parce que j’aurais compté pour rien la vie en comparaison de l’utilité publique, parce que j’aurais pensé que le plus noble usage d’un effet périssable, c’était le sacrifice avantageux que j’en ferais à la patrie, je suis moins sage que vous ? Rêvez-y mieux, mon ami, et vous verrez que le véritable héroïsme ne peut jamais contrarier la sagesse[2].

Il ne faut que souffler sur tout ce que vous dites de Démosthène, d’Alexandre et de Cicéron. Est-ce comme honnête homme que Démosthène a prétendu à l’immortalité ? Nullement, c’est comme le premier orateur du monde, et il avait raison. Est-ce comme honnête homme qu’Alexandre a prétendu à l’immortalité ? Nullement, c’est comme le plus grand et le plus vaillant capitaine qui eût existé, et il avait raison. Est-ce comme honnête homme que Cicéron a prétendu à l’immortalité ? Nullement, c’est comme prodige d’éloquence et de patriotisme et il avait raison[3].

  1. Horat., Od. ii, lib. III.
  2. « Un philosophe pendu n’est plus bon à rien. S’il se conserve, s’il travaille, il est utile. Voilà comme j’y rêve, c’est de mon mieux. »
  3. « Mon ami, conservez vos poumons, vous souilleriez trop longtemps. Démosthène, Alexandre, Cicéron avaient, entre autres faiblesses, la fureur de vouloir qu’on parlât d’eux. Je ne me suis étendu sur les défauts des deux orateurs que pour vous démontrer combien ils étaient loin de la vraie philosophie, et qu’ainsi leur autorité (si les autorités sont ici recevantes) était mal choisie. »