Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


J’ai voulu lire l’article Achille de Bayle ; mais, mon ami, je vous en demande pardon, c’est un bavardage que je n’ai pu soutenir. J’ai fermé l’énorme volume, et je me suis mis à dire à haute voix :

Je chante la colère d’Achille, fils de Pelée ; cette colère qui fut si fatale aux Grecs, qui attira sur eux une infinité de maux, qui précipita aux enfers les âmes généreuses de tant de héros, et qui abandonna leurs cadavres en proie aux oiseaux du ciel et aux animaux voraces de la terre ; car c’est ainsi que s’accomplissait la volonté de Jupiter, du moment où la division s’éleva entre Achille et Agamemnon, Agamemnon, roi des hommes, Achille, descendant des dieux.

Puis, me rappelant successivement différents endroits du poëte sublime, je dis encore à haute voix :

Dieu puissant, Dieu glorieux, Dieu fort, toi qui habites au haut des airs, toi qui rassembles les orages, fais qu’avant que le soleil ne descende sous l’horizon, et que les ténèbres couvrent la face de la terre, je renverse les murs de Troie, que j’enfonce les portes du palais de Priam, que ma main brise la cuirasse d’Hector sur sa poitrine, et que ses amis mordent la poussière autour de son cadavre.


L’enfer s’émeut au bruit de Neptune en furie.
Platon sort de son trône, il pâlit, il s’écrie ;
Il a peur que ce dieu, dans cet affreux séjour,
D’un coup de son trident ne fasse entrer le jour.
Et, par le centre ouvert de la terre ébranlée,
Ne fasse voir du Styx la rive désolée ;
Ne découvre aux vivants cet empire odieux,
Abhorré des mortels, et craint même des dieux[1].


Et puis tout à coup j’ai pris en pitié tous ces gens qui, au lieu de se laisser pénétrer de l’enthousiasme du poëte, s’occupent pauvrement à relever les fautes qui lui sont échappées, parce qu’il était homme, et, sans respecter ni Bayle, ni Rapin, ni Scaliger, ni ce Voltaire, qui a la bonté de se mettre sur la ligne des Zoïles, des Terrasson, j’ai jeté le gros volume que j’avais

  1. Boileau, traduction de Longin, chap. vii