Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/18

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choses et même dans toute autre supposition, quels doivent être les fruits des atteintes que l’on a données et qu’on pourrait encore donner à notre librairie, s’il faut souffrir plus longtemps les entreprises que des étrangers font sur son commerce, quelle liaison il y a entre ce commerce et la littérature, s’il est possible d’empirer l’un sans nuire à l’autre, et d’appauvrir le libraire sans ruiner l’auteur, ce que c’est que les privilèges de livres, si ces privilèges doivent être compris sous la dénomination générale et odieuse des autres exclusifs, s’il y a quelque fondement légitime à en limiter la durée et en refuser le renouvellement, quelle est la nature des fonds de la librairie, quels sont les titres de la possession d’un ouvrage que le libraire acquiert par la cession d’un littérateur, s’ils ne sont que momentanés, ou s’ils sont éternels ; l’examen de ces différents points me conduira aux éclaircissements que vous me demandez sur d’autres.

Mais avant tout, songez, monsieur, que sans parler de la légèreté indécente dans un homme public à dire, en quelque circonstance que ce soit, que si l’on vient à reconnaître qu’on a pris un mauvais parti, il n’y aura qu’à revenir sur ses pas et défaire ce qu’on aura fait, manière indigne et stupide de se jouer de l’état et de la fortune des citoyens, songez, dis-je, qu’il est plus fâcheux de tomber dans la pauvreté que d’être né dans la misère, que la condition d’un peuple abruti est pire que celle d’un peuple brute, qu’une branche de commerce égarée est une branche de commerce perdue, et qu’on fait en dix ans plus de mal qu’on n’en peut réparer en un siècle. Songez que plus les effets d’une mauvaise police sont durables, plus il est essentiel d’être circonspect, soit qu’il faille établir, soit qu’il faille abroger, et dans ce dernier cas, je vous demanderai s’il n’y aurait pas une vanité bien étrange, si l’on ne ferait pas une injure bien gratuite à ceux qui nous ont précédés dans le ministère, que de les traiter d’imbéciles sans s’être donné la peine de remonter à l’origine de leurs institutions, sans examiner les causes qui les ont suggérées et sans avoir suivi les révolutions favorables ou contraires qu’elles ont éprouvées. Il me semble que c’est dans l’historique des lois et de tout autre règlement qu’il faut chercher les vrais motifs de suivre ou de quitter la ligne tracée ; c’est aussi par là que je commencerai. Il faudra