Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/184

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ne comprendriez pas, sans doute, ces guerres injustes et cruelles que l’imagination du héros et la stupidité féroce croient justifier au tribunal de la postérité ; ces massacres horribles faits pour la grande gloire de Dieu et en vue de l’éternité (c’est la postérité de l’homme religieux). Vous n’y comprendriez pas non plus ces clôtures de camp, ces lits, ces râteliers gigantesques laissés dans les déserts de l’Inde par Alexandre, afin de donner plus d’étonnement à la postérité[1]. Vous ne vous chargerez ni de ces brigandages ni de ces horreurs, ni de ces extravagances que les insensés appellent actions héroïques.

Il faut commencer par avoir du génie, une grande âme, il est vrai ; mais il y a mille moyens d’élever et d’échauffer l’âme, entre lesquels je ne refuse pas de compter l’envie et le café, pourvu que vous me permettiez de nommer aussi le sentiment de l’immortalité et le respect de la postérité[2].

Sans doute il y a des circonstances où l’homme de bien et le scélérat sont également liés par les lois. Mais si tout est égal d’ailleurs, l’homme de bien montrera plus d’énergie que le coquin, lors même qu’il braverait la vindicte publique. L’un sait qu’il mérite la poursuite des lois, l’autre qu’il ne la mérite pas. Celui-là n’attend que l’exécration du présent et de l’avenir ; celui-ci s’est légitimement promis que l’avenir renversera sur ses juges l’ignominie momentanée dont on le couvre. Il ne fallait pas me demander si Catilina avait plus ou moins de ressource et d’activité que Cicéron ; mais bien si Catilina, autant intéressé à protéger la république qu’à la renverser, n’aurait

  1. Quint. Curt., L. IX.
  2. « Eh ! mon ami, ne vous ai-je pas dit : Nourrissez le génie de tout ce qu’il vous plaira. Que me demandez-vous encore ? »