Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/209

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verrais dans ma tête ; je me trompe fort si, avec beaucoup de défauts, ce ne serait pas encore une belle chose[1].

Pour apprécier une composition qui n’est plus, vous me renvoyez à la comparaison de deux compositions qui sont. Qu’est-ce que cette comparaison m’apprendra[2] ?

Ce n’est pas parce que les Grecs, au temps de Polygnote, ont admiré son ouvrage que je l’admire, c’est qu’il me paraît beau sur la plus insipide des descriptions, et que les Grecs le trouvaient beau au temps où ils avaient les plus grands artistes. C’est que sur les choses où Pausanias ne m’apprend rien, je ne m’arroge pas le droit d’en supposer de mauvaises ; c’est que sur celles qui sont excellentes et dont il m’instruit, je me crois bien fondé a juger favorablement du reste ; c’est, encore une fois, qu’il y a des données, un progrès connu de l’art, un état des choses usuelles qui m’autorise dans mes conjectures. Malgré cela, je rends tout hommage à votre chaîne ; je ne me propose non plus d’en rompre un anneau que d’arracher un clou à la massue d’Hercule. Mais c’est que je crois aussi sentir juste ; c’est que si je ne le croyais pas, je ne vous contredirais pas ; c’est que si je ne vous contredisais pas, je resterais toujours ignorant, et que j’aime mieux rembourser une brusquerie qui me profite que de garder une erreur qui me nuirait[3].

Vous ne m’entendez pas quand je dis que Polygnote a placé l’intérêt de sa composition au centre de sa toile et qu’il en a jeté les accessoires sur les extrémités. Cela est pourtant clair[4].

Il ne tient pas à vous de réduire le mérite de Polygnote à avoir employé avec jugement des personnages décrits par Homère ; d’accord : les personnages de Polygnote sont dans Homère, comme ceux de la sainte famille dans le Nouveau Testament, mais vous me feriez un véritable plaisir de me montrer dans le poëte aucun des incidents du peintre, et vous

  1. « Voilà justement comme vous voyez le tableau de Polygnote. »
  2. « Rien, si vous savez qu’un tableau dont l’idéal est sublime et l’exécution mauvaise est un mauvais tableau. »
  3. « Si vous parlez sérieusement, comme je le crois, rien n’est plus honnête. »
  4. « Oui, cela est clair ; mais je ne veux pas entendre qu’une composition soit belle et sage, parce qu’elle est entre un vaisseau, un âne et une cruche. »