Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/232

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l’impératrice, du ministre, du sculpteur et de son élève sont entassés pêle-mêle, comme le sentiment du cœur les jette.

Notre petit Le Moyne commence cinquante phrases et n’en finit aucune ; il se fond en tendresse. Certainement cet homme vous chérit, et a l’âme tout à fait douce et bonne. « Mon enfant Falconet, dit-il, c’est qu’il est mon enfant… C’est que quand son père me l’amena… Non, il n’y avait pas un an que je l’avais vu que je lui disais : Il ne tient qu’à toi d’être simple comme Bouchardon, vrai comme Pigalle et chaud comme moi… et le voilà… une belle chose, je réponds qu’il la fera… » Et puis il faut voir la mine touchante, les grimaces pathétiques, les convulsions qui accompagnent ce ramage décousu. M. Collin a rendu visite au prince de Galitzin, qui est enchanté de son honnêteté. J’ai vu deux fois votre cousine. Je ne saurais oublier Perraut. Perraut, mon ami, irait vous voir à Pétersbourg si vous lui faisiez signe. Il faut qu’au fond vous ne soyez pas trop méchant puisque votre domestique même se souvient de vous et vous regrette. Vous allez donc au bal ? Y dansez-vous l’ours ? Mlle Collot tient-elle le ruban ? Mon ami, comptez que vous dansez l’ours sublimement. Vous n’y reconnaissez donc pas l’impératrice ? Et qui diable aussi reconnaîtrait la plus grande souveraine du monde sous la casaque de ce gueux de saint François ?

Mon ami, qui sait ce que l’impératrice fera de moi ? Qui sait si le monument même que j’ai projeté d’élever à sa gloire ne m’enverra pas à Pétersbourg ? Cet endroit pourrait bien être le seul du monde où il me fût permis de l’élever. Hâtons-nous toujours nous de débarrasser des entraves qui nous lient. Fermons notre porte aux importuns, et mettons la main à l’ouvrage. On est sans génie ou on le trouve dans ma position et la vôtre. Célébrez le czar Pierre. Je célébrerai Catherine de mon côté ; ce que je lui dois remplacera peut-être ce qui manque au talent. La reconnaissance fit une fois faire à Chapelain une ode sublime. Je vaux mieux que Chapelain, et il n’avait qu’un ministre sanguinaire à chanter. Si je vais jamais à Pétersbourg j’y porterai ma pyramide entre mes bras. Puissé-je encore vous y trouver ! J’ai supplié le général Betzky de fermer pour moi la main bienfaisante de l’impératrice. Je n’ai qu’un enfant et j’ai plus de quatre mille six cents livres de rente. Si elle ne sait pas être heureuse avec deux fois plus de revenu que son aïeul n’en a laissé à son