Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/233

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père, c’est qu’elle sera folle, et il n’y a point de bonheur pour les fous. Mais il me resterait deux choses à obtenir et c’est à vous que je voudrais bien les devoir. Ce buste, mon ami, ce buste dont je vous ai parlé plus haut, et auquel je reviendrai jusqu’à ce qu’il me soit accordé, et puis les deux médailles qu’on a envoyées à d’Alembert et à Marmontel. Tout le monde les va voir chez eux. On s’avise aussi quelquefois de me les demander, et je vous avoue que j’ai quelque honte à ne montrer qu’une mauvaise gravure, ou qu’un pauvre bronze. Si cependant il y avait de l’indiscrétion, après tant de grâces obtenues et si peu méritées, d’en solliciter encore de nouvelles, gardez le silence.

Bonjour, mon ami, portez-vous bien. Écrivez-moi sans cesse. Lorsque vous aurez l’occasion de faire votre cour à Sa Majesté Impériale, ne séparez jamais mon hommage du vôtre. Eh bien ! vous persistez donc, malgré mes sentences, dans votre mépris pour la postérité ? Savez-vous à qui vous ressemblez ? au poëte anglais Pope : il ne pouvait souffrir qu’on le louât comme grand poëte, il voulait être loué comme honnête homme ; à la vieille duchesse du Maine : elle ne pouvait pas souffrir qu’on la louât comme femme d’esprit, elle voulait être louée comme belle. Vous dédaignez le lot qui vous est assuré ; vous n’ambitionnez que celui qui peut vous échapper. Le bonheur présent, si vos contemporains vous avaient de tout temps rendu la justice que vous méritez, peut-être feriez-vous plus de cas de la justice de l’avenir. Mais il faut convenir que nous sommes bien hargneux tous les deux, puisqu’une distance de sept cents lieues ne nous empêche pas de nous lancer des traits. Mais serez-vous homme à abandonner la décision de notre querelle au jugement de ma bienfaitrice ? Prenez-y garde, mon ami. Cette femme-là est ivre du sentiment de l’immortalité, et je vous la garantis prosternée devant l’image de la postérité. Tenez, j’ai lu écrit de sa main dans une lettre à Mme Geoffrin : Ce que j’ai fait pour Diderot est bien ; mais cela n’immortalise pas. À présent, dites encore du mal de ces deux sentiments sacrés, si vous l’osez. Allez les attaquer après cela dans l’auguste sanctuaire que je vous désigne. Désabusez, si vous pouvez, cette grande âme du plaisir de se savoir divinisée par des hommes séparés d’elle de la distance du pôle à l’équateur. Elle est heureuse par les éloges qu’on fait d’elle dans des contrées