Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous receviez cette lettre, Mlle Collot aura sous ses yeux les emplettes dont elle nous a chargés. Simon les lui porte. Eh bien donc, quand recevrons-nous cette brochure que vous avez eu la rage de faire imprimer ? J’aurais été bien aise de revoir le tout, surtout ces premiers petits chiffons qui ont été écrits sur le bout de la table. Cela sera peut-être si déguenillé, si traînant, si froid, si mauvais, que je ne vous pardonnerai jamais d’avoir eu si peu d’égards pour la gloire de votre ami. Malheur à vous, si vous avez la supériorité dans cette querelle. Il faut que vous fassiez mieux des statues que moi, mais il faut que je fasse mieux un discours que vous. Vous m’avez proposé de célébrer dans quelque petit ouvrage les premiers pas de l’impératrice dans la carrière du gouvernement. Vous vous offriez à m’envoyer les pièces nécessaires. N’ayez pas mauvaise opinion de moi, si je n’ai pas montré là-dessus tout l’empressement que vous deviez attendre de ma reconnaissance pour ses bienfaits multipliés, accumulés. Mais au moment où vous me présentiez une tâche si conforme à mon cœur, peut-être en même temps si supérieure à mon talent, savez-vous ce que je faisais ? J’écrivais au général Betzky[1], je décrochais de la muraille une vieille lyre dont la philosophie avait coupé les cordes, je recherchais l’enthousiasme de mes premières années ; je le retrouvais, et je chantais l’impératrice en vers ; oui, mon ami, en vers ; et même en vers qui n’étaient pas mauvais. Puis, reprenant le ton de la raison pédestre et tranquille, ne me croyant pas tout à fait incapable de seconder ses grandes vues, je m’engageais à travailler à un vocabulaire général où tous les termes de la langue se trouveraient expliqués, définis, circonscrits. Vous concevez qu’un pareil ouvrage ne peut se faire que lorsque les sciences et les arts ont été portés à leur dernier point de perfection. Vous concevez que c’était un moyen de transporter chez une nation naissante tous les travaux, toute la lumière de trois ou quatre cents ans d’une nation policée. Vous concevez que l’exactitude et la franchise suffisaient seules pour rendre un pareil ouvrage d’une hardiesse à exiger toute la protection d’une souveraine. Je ne voyais que ce monument qui pût à peu près m’acquitter avec ma grande

  1. Voir cette lettre dans la Correspondance générale.