Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/237

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XIII


Ah ! mes amis, que les hommes sont méchants ! Ils se montrent quelquefois ennemis de tout bien. Il faut qu’il y ait au fond de leur âme quelque germe maudit et secret de jalousie qui les porte à souhaiter la chute de tout projet honnête ; tandis que, d’un autre côté, ils exigent nos succès sans lesquels nul plaisir, nul enthousiasme, nul sentiment d’admiration pour eux. Ils ne savent ce qu’ils veulent, amis des belles choses, ennemis de ceux qui les tentent, enragés contre ceux qui les exécutent. La belle bouffée de morale ! Le beau texte à suivre sous le petit berceau ! nous en aurions tous les trois pour jusqu’à la chute du jour. Mais allons à l’application. Il n’y a rien que ces génies infernaux-là n’aient imaginé pour troubler, alarmer, effrayer, dégoûter ce pauvre Simon. Ils lui ont montré les Russes avec des cornes, des queues et des griffes ; la Russie comme l’enfer de Milton, où les damnés étaient promenés alternativement d’un abîme de glace dans un abîme de feu, afin de rendre un extrême plus cuisant et plus cruel par son extrême opposé ; les Russes comme des gens sans probité, sans honneur, sans foi, des geôliers féroces d’entre les mains desquels on ne se tirait plus quand on avait eu le malheur d’y tomber. Enfin, la tête de ce pauvre Simon était à tel point dérangée que j’ai vu le moment où vous n’aviez point de mouleur. Vous entendrez ce qu’il vous en dira lui-même. Même conduite avec Vandendrisse. Cependant, l’un est maintenant aux portes de Pétersbourg, et l’autre est sur le point de quitter celles de Paris. Dieu merci, le génie a maintenant autour de lui tous ses instruments, et rien ne peut plus l’arrêter. Travaillez donc, mon ami ; travaillez avec chaleur ; faites un monument digne de la souveraine qui l’ordonne pour Pierre le Grand, digne de la nation qui l’ordonne pour sa souveraine, digne de vous. Vengez-vous de cette vengeance qu’il n’appartient qu’aux âmes telles que les nôtres de prendre. Avant que