Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/265

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à l’honnêteté, je vous les ferai observer. S’il y a lieu au moindre scandale pour le public aux yeux duquel nous nous exposerons, je vous en demanderai le sacrifice pour vous et pour moi. Comptez que j’insisterai beaucoup plus sur ce dernier point que sur aucun autre. Il faut qu’on nous voie l’un et l’autre tels que nous sommes. Il faut que nos amis soient contents ; il faut que nos envieux et nos ennemis se taisent ; il faut que j’aie travaillé à vous rendre estimable et que vous ayez eu le même but. Dans les endroits où mon petit amour-propre pourra me rendre partial, j’ai un arbitre tout prêt ; et cet arbitre a de l’âme, de la justesse, de la hauteur, un goût exquis ; ami de Diderot et de Falconet, il l’est encore plus de la vérité. En un mot je mettrai l’ouvrage tel que je voudrais qu’il fût. Je vous enverrai ma copie et la vôtre, et il en sera après cela tout ce qu’il vous plaira. Vous vous êtes donné la peine de vérifier mes citations. Vous me permettrez de vérifier à mon tour les vôtres et de m’assurer par mes propres yeux si Pline est aussi plat que vous me le montrez. C’est un hommage que je dois à cet auteur. Du reste, songez, soyez persuadé que j’en userai avec le texte du manuscrit commun comme avec un texte sacré. Si M. Pochet, qui vous remettra cette lettre, ne vous remet pas aussi le manuscrit, n’en soyez pas chagrin. Mais j’ai bien une autre affaire plus importante à vous communiquer, puisqu’il s’agit de notre souveraine. Nous avions pour secrétaire d’ambassade à Pétersbourg, au moment de la révolution, un M. de Rulhières, homme de beaucoup d’esprit. Cet homme s’est laissé déterminer, par la comtesse d’Egmont, à écrire l’histoire de cette révolution dont il avait été, pour ainsi dire, témoin oculaire ; il l’a donc écrite, il me l’a lue ; il l’a lue à d’Alembert, à Mme Geoffrin et à un assez grand nombre de personnes. Il m’en a demandé mon avis et le voici tel que je lui ai dit :

« Qu’il était infiniment dangereux de parler des souverains, qu’il n’y avait sous le ciel que l’impératrice même qui pût juger jusqu’où elle pouvait être offensée ou flattée d’un pareil ouvrage. Que la calomnie était indigne d’un honnête homme, et que toute vérité n’était pas bonne à dire ; qu’on ne pouvait avoir trop d’égards, trop de respect, trop de ménagements pour une princesse qui faisait l’admiration de l’Europe et les délices de sa nation ; et que je pensais que pour lui-même,