Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/29

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contestation, moins je me persuade qu’ils entendissent bien nettement l’état de la question. Il s’agissait de savoir si en mettant un effet en commun, on jetterait le corps entier de la librairie dans un état indigent, ou si en laissant la jouissance exclusive aux premiers possesseurs, on réserverait quelques ressources aux grandes entreprises ; cela me semble évident. En prononçant contre les prorogations, le Parlement fut du premier avis ; en les autorisant, le Conseil fut du second, et les associés continuèrent à jouir de leur privilège. Il y a plus. Je vous prie, monsieur, de me suivre.

Le chancelier Séguier, homme de lettres et homme d’État, frappé de la condition misérable de la librairie, et convaincu que si la compagnie des Usages avait tenté quelque entreprise considérable, c’était au bénéfice de son privilège qu’on le devait, loin de donner atteinte à cette ressource, imagina de l’étendre à un plus grand nombre d’ouvrages dont la possession sûre et continue pût accroître le courage avec l’aisance du commerçant, et voici le moment où la police de la librairie va faire un nouveau pas, et que les privilèges changent tout à fait de nature. Heureux si le titre odieux de privilège avait aussi disparu !

Ce n’était plus alors sur des manuscrits anciens et de droit commun que les éditions se faisaient ; ils étaient presque épuisés, et l’on avait déjà publié des ouvrages d’auteurs contemporains qu’on avait crus dignes de passer aux nations éloignées et aux temps à venir, et qui promettaient au libraire plusieurs éditions. Le commerçant en avait traité avec le littérateur ; en conséquence, il en avait sollicité en chancellerie les privilèges, et à l’expiration de ces privilèges leur prorogation ou renouvellement.

L’accord entre le libraire et l’auteur contemporain se faisait alors comme aujourd’hui : l’auteur appelait le libraire et lui proposait son ouvrage ; ils convenaient ensemble du prix, de la forme et des autres conditions. Ces conditions et ce prix étaient stipulés dans un acte sous seing privé par lequel l’auteur cédait à perpétuité et sans retour son ouvrage au libraire et à ses ayants cause.

Mais, comme il importait à la religion, aux mœurs et au gouvernement qu’on ne publiât rien qui pût blesser ces objets